mercredi 4 mai 2016

La ligne de changement de date

Ayent (CH)

Dans ce qui suit on parle en heure solaire, c'est à dire celle qui représente la marche du soleil en un lieu donné: par exemple, lorsque le soleil est au plus haut dans le ciel, il est midi. Et il est alors midi passé en un lieu situé un peu plus à l'est, alors qu'il n'est pas encore midi en un lieu situé un peu plus à l'ouest.
Tant que les moyens de transport restaient assez lents, chaque ville ou village avait ainsi son heure solaire, réglée par le cadran solaire.
Avec le développement des chemins de fer, il a fallu unifier, par voie administrative, les heures entre les gares. Pour fixer l'heure on a alors abandonné le soleil et déterminé une longitude de référence dont l'heure est devenue celle de tout le pays.
Dans un premier temps chaque État a choisi comme heure celle de sa capitale.
Il en est découlé des effets non négligeables dans les pays s'étendant sur une grande distance dans le sens de la longitude, c'est à dire d'est en ouest. Ainsi l'écart entre Paris et Strasbourg est égal à 5.4° ce qui représente 21.6 minutes, celui entre Brest et Paris est de 6.83° soit 27.3 minutes. Il y a ainsi un écart total de 49 minutes entre Strasbourg et Brest: ce n'est que 49 minutes après les Strasbourgeois que les Brestois voient le soleil au plus haut dans leur ciel. Leurs vies quotidiennes sont ainsi différentes quant à la lumière du jour.
Avec la vitesse croissante des moyens de transport et pour le développement des relations internationales il a fallu décider d'une référence mondiale dont dérivent alors les heures des différents États en fonction de leur écart en longitude. On a ainsi créé 24 fuseaux horaires de 15° en laissant chaque État libre de choisir le sien.
C'est le méridien de Greenwich où se trouve l'observatoire de Londres qui a été choisi en 1884 comme référence pour fixer l'heure UTC (voir article précédent intitulé 'un tour en orthodromie').
Les pays de l'Union Européenne ont presque tous choisi le fuseau +1 heure, dont le centre passe à 15° du méridien de Greenwich, un peu à l'est de Berlin et Rome et un peu à l'ouest de Vienne. L'écart entre l'est de la Pologne et l'ouest de l’Espagne atteint 37° soit 2 heures et 28 minutes!

En un lieu donné, pour passer de l'heure légale à l'heure solaire, ou inversement, il suffit de transformer en heures l'écart de longitude entre ce lieu et le centre du méridien retenu par la règlementation du pays. Ce faisant on obtient une heure solaire qualifiée de moyenne car elle ne tient pas compte de "l'équation du temps", ce qui est sans importance dans le cadre de cet article (voir l'article intitulé 'l'équation du temps' en date du 06/06/2014). En été il faut tenir compte d'un changement de fuseau horaire supplémentaire.

cadran solaire imaginé par la NASA à l'usage des astronautes de la Station Spatiale...


Les planisphères dessinés ci-dessous sont tracés suivant la projection de Mercator et ils mentionnent les heures solaires de certaines villes (voir article intitulé 'de la boussole au logarithme: la loxodromie' daté 29/03/2016).

Sur le globe terrestre il y a presque en permanence deux jours en cours. Celui en vigueur à Londres et le précédent si l'heure UTC est inférieure à 12, ou le suivant sinon. Les frontières entre les deux sont les traces du demi-méridien de minuit et du demi méridien qui passe par les antipodes de Londres. Le premier se trouve à l'opposé du soleil et tourne donc comme la terre autour du soleil pendant que la rotation diurne de la terre fait défiler dessous, quotidiennement, le second avec les continents.
En un lieu donné la date change donc chaque jour lorsque son méridien coïncide avec le méridien de minuit qui vu depuis ce lieu se déplace de l'est à l'ouest.

Ce n'est que lorsqu'il est 12 h UTC que la date est unifiée sur toute la terre, les frontières entre les deux jours coïncidant alors. Juste à cet instant, le jour précédent disparait et immédiatement nait le jour nouveau. A ce moment Londres est à l'opposé du méridien de minuit qui se trouve donc à la longitude +180° ou, ce qui revient au même, -180°.
La trace sur la terre du méridien de minuit à cet instant est donc appelée "Ligne de changement de date".
Dans les figures ci-dessous la Ligne de changement de date est dessinée en bleu et le méridien de minuit en en rouge.

2 septembre 11h00 UTC: entre les longitudes +165° et +180° on en est encore au 1er septembre
 
2 septembre 12h UTC: toute la terre est à la même date, les deux méridiens coincident

2 septembre 13h00 UTC: le 3 septembre a commencé pour les longitudes entre -180° et -165°




Ci-dessous la fabrique quotidienne des jours à 12h UTC, à l'opposé du soleil:


le 02/09 à 9h UTC: le jour 01/09, dessiné en rouge, n'a plus que 3 heures à vivre
le 02/09 12h UTC toute la terre est au jour 02/09, dessiné en vert: le nouveau jour va naître
le 02/09 à 15h UTC: le jour 02/09, en vert, abandonne du terrain au nouveau jour 03/09, en rouge
le 03/09 à 0h UTC: la terre est exactement partagée entre les jours 02/09 et 03/09
le 03/09 à 9h UTC: le jour 02/09, dessiné en vert, n'a plus que 3 heures à vivre...etc

La naissance du nouveau jour induit de sérieux inconvénients pour les habitants des zones proches de cette Ligne. En effet, la Ligne de changement de date emporte avec elle, dans la nouvelle date, les lieux situés dans les longitudes négatives mais laisse sur place, dans l'ancienne date, ceux des longitudes positives. Ainsi quand il sera midi le 3 septembre à Wellington (Nouvelle Zélande) il sera 14h22 le 2 septembre, la veille, à Papeete à 4.300 km de là.
Le problème s'aggrave pour les terres émergées qui se répartissent de part et d'autre de la Ligne comme les îles Fidji: un habitant de l'île Taveuni, par exemple, peut parfaitement, à tout moment, en chevauchant la Ligne, avoir un pied dans un jour et l'autre dans la veille!

copyright S. Lacabanne

Des aménagements règlementaires pallient ces inconvénients et, par chance (?), il existe peu de terres émergées sur la Ligne car elle passe en plein océan Pacifique.


 Les aménagements d'heure légale règlent les problèmes statiques mais pas ceux des navigateurs qui sont amenés à traverser la Ligne.
Les explorateurs espagnols Magellan (1480-1521) et Elcano (1476-1526) en firent l'expérience lors du premier tour du monde vers l'ouest, d'août 1519 à septembre 1522. Pour Elcano le jour du retour était le 5 septembre alors qu'à terre la date était le 6...
Ce premier tour du monde fut tragique: sur 237 marins embarqués seuls 18 revinrent en Espagne après une traversée complète.

Oh ! combien de marins, combien de capitaines
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines,
Dans ce morne horizon se sont évanouis...
Sous l'aveugle océan à jamais enfouis!


Et Philéas Fogg (!) doit à la Ligne d'avoir gagné son pari de faire le tour du monde vers l'est en 80 jours alors qu'il pensait l'avoir perdu en arrivant, selon lui, le 81ème jour...

itinéraire de Philéas Fogg décrit par Jules Verne (avec de belles orthodromies!)

Franchir la Ligne de nos jours, lors de voyages aériens, réserve des surprises.

Embarquons sur le vol qui décolle vers l'ouest de Los Angeles le 25 décembre à 22h heure locale pour Darwin en Australie.

le 25 décembre à 22h locale, soit 5h54 UTC le 26 décembre, décollage de Los Angeles vers l'ouest
Après deux heures de vol, l'heure locale est 22h51 le 25 décembre: à Los Angeles le 26 décembre commence
10h24 UTC le 26 décembre, le méridien de minuit rattrape l'avion: il est 0h le 26 décembre heure locale
le 26 décembre à 11h59 UTC: toute la terre va être à la même heure et le 27 décembre va naître
26 décembre 12h1 UTC: le 27 décembre commence aux antipodes du méridien de Greenwich
le 26 décembre 13h45 UTC, instant crucial: l'avion va franchir la Ligne, à bord il est 1h45 heure locale le 26 décembre
l'avion a franchi la Ligne: l'heure locale à bord est toujours 1h45 heure locale mais c'est le 27 décembre
l'avion survole Bikini, il est 0h43 à Darwin le 27 décembre et 8h6 à Los Angeles mais le 26 décembre
21h46 UTC le 26 décembre: l'avion atterrit à Darwin où il est 6h29 le 27 décembre
A Darwin la journée du 27 décembre se terminera à 15h17 UTC. Le bilan de l'opération pour le voyageur parti le 25 à 22h et arrivé le 27 à 6h29 est donc un 25 décembre rallongé de 2h et 30m, un 26 décembre réduit à 3h et 21m et un 27 décembre rallongé de 1h et 32m, ce qui au total donne un jour manquant et un décalage horaire de 7h et 23m.
On remarque que si l'avion avait décollé de Los Angeles à 20h15 plutôt qu'à 22h, il aurait été rattrapé par le méridien de minuit exactement sur la Ligne. Le 25 décembre aurait alors été rallongé de 4h et 6m, le 26 décembre n'aurait pas existé du tout et le 27 aurait été rallongé de 3h et 17m.
On peut compter sur les commandants de bord pour jouer sur le rallongement du 25 de façon à faire coïncider, lors des annonces en cabine aux passagers insomniaques, le passage de la Ligne et le minuit local. L'effet est garanti!

Autres surprises lors d'un voyage dans le sens inverse!

Embarquons sur le vol qui décolle vers l'est de Tokyo le 26 décembre à 6h00 heure locale pour Papeete en Polynésie française.
26 décembre 6h locale, soit 20h40 UTC même jour: décollage vers l'est
 
26 décembre 9h52 UTC, l'avion va franchir la Ligne, l'heure locale est 14h51
la Ligne est franchie, l'heure locale reste 14h51 mais fait un saut en arrière de 24h: l'avion se trouve le 25 décembre!

arrivée à Papeete le 25 décembre à 22h33, soit 8h32 UTC le 26 décembre
Ainsi, partis le 26 décembre de Tokyo à 6h, les passagers arrivent à Papeete le 25 décembre à 22h33: le voyage a duré 11h et 52m et cependant ils arrivent 7h et 27m avant d'être partis!  L'explication réside dans le rallongement de la journée du 26 qui, pour les passagers, dure 43h et 19m.
En effet au moment du décollage la journée du 26 compte déjà 6h, le voyage dure 11h et 52m et il faut attendre 1h et 27m à Papeete pour que la journée du 25 se termine: total 19h et 19m (c'est le décalage horaire entre les deux villes), ensuite une nouvelle journée entière du 26 va s'écouler. 
Pendant cette extraordinaire journée du 26 ils auront passé 7h et 6m à la date du 25!

Le nouveau calendrier ci-dessous va-t-il permettre d'y voir plus clair?

samedi 23 avril 2016

Un tour en orthodromie

loxodromie:  va en oblique
orthodromie: va tout droit

En géométrie sphérique la droite est un grand cercle: c'est le plus court chemin d'un point à un autre, ce que n'est pas la loxodromie.
Pour dessiner un planisphère, la projection de Mercator (1512-1594) reste une bonne solution, assez facile à mettre en œuvre, mais avec l'inconvénient que les hautes latitudes sont fortement dilatées.
Les loxodromies sont des droites et les grands cercles des courbes très proches de la sinusoïde et que l'on peut construire par points.
L'un de ces grands cercles est le terminateur qui sépare sur la terre le jour de la nuit.
Sa représentation chez Mercator varie suivant la saison puisqu'elle connait son maximum d'aplatissement aux solstices alors qu'aux équinoxes elle est réduite à deux segments verticaux. Cette ligne de partage est dessinée en rouge dans les figures suivantes.
au début de l'hiver la durée de la nuit dépasse celle du jour pour l'hémisphère nord
au voisinage de l'équinoxe il y a une quasi égalité
 
à la fin du printemps les durées sont inversées
 
Au temps de Mercator, le méridien origine était celui du lieu où coïncidaient nord magnétique et nord géographique: au Cap Verd. Le roi Louis XIII, en 1634, avait imposé comme méridien origine celui qui passe à 20° à l'ouest de Paris à l'île de Fer aux Canaries.
La conférence de Washington d'octobre 1884, a décidé, en raison de la suprématie maritime britannique et au grand dam de la France, que le méridien de référence pour l'heure universelle serait celui de Greenwich où se trouve l'observatoire de Londres. En échange de la capitulation française, le Royaume Uni devait se rallier au système métrique mis au point par les savants français en 1799, promesse que la perfide Albion n'a pas tenue...
L'heure GMT (Greenwich Mean Time) et le temps universel (TU) ont cédé la place en 1988 au temps UTC (Temps universel coordonné).

loxodromies, orthodromies, heures solaires mondiales

 Pour quelques destinations est indiquée sur la figure l'heure solaire locale.
Les dessins des grands cercles ressemblent à celui du terminateur. Ils sont plus ou moins dilatés suivant l'importance de la différence de latitude entre l'origine et la destination. Contrairement à ce qu'on lit sur la figure ces arcs de grand cercle représentent des trajets plus courts que les segments de loxodromie!

Le planisphère montre que pour aller de Londres à Wellington (Nouvelle Zélande) il vaut mieux passer par Tokyo. Par contre pour revenir en Europe les itinéraires les plus économiques seront différents si la destination est Rome ou Madrid: pour Rome mieux vaut passer par Singapour alors que pour Madrid il vaut mieux survoler Kampala en Ouganda. Tout cela, bien sûr, sans tenir compte de considérations géopolitiques.
Pour Papeete le mieux est de survoler Los Angeles.

De Londres à New York la différence de distance entre loxodromie (segment en bleu) et orthodromie (arc en vert) atteint 230 km. Cela représente 4% de la distance totale. Au temps du ruban bleu les navires pouvaient donc gagner 4 heures sur les 100 h du voyage. Mais, et c'est la rançon du gain de temps, il faut passer plus au nord que la loxodromie.
Lors de la première traversée du Titanic, en avril 1912, le commandant Edward Smith (1850-1912) a suivi une route qui passe plus au sud, même, que la loxodromie, de façon à éviter les nombreux icebergs qui, ce printemps là, descendaient anormalement vers le sud. Ni lui, ni la White Star Line ne peuvent être taxés d'avoir voulu à tout prix gagner le ruban bleu à la première traversée. L'hiver 1911-1912 avait été particulièrement long et rigoureux en Amérique du Nord et cette vague de froid exceptionnelle pourrait avoir sa part dans l'explication du naufrage du 14 avril 1912 qui fit 1500 noyés (le lieu du naufrage est dessiné sur le planisphère ci dessus).

La géométrie sphérique règlemente l'orthodromie.
La distance angulaire entre deux points de coordonnées (lon1, lat1) et (lon2, lat2) est donnée par la formule classique:
cos(distance) = sin(lat1)sin(lat2)+cos(lat1)cos(lat2)cos(lon2-lon1)
Le cap à suivre au départ, cap0,  est donné par:
tan(cap0) = sin(lon2-lon1)/(tan(lat2)cos(lat1)-sin(lat1)cos(lon2-lon1))
et aussi par: sin(cap0) = cos(lat2)sin(lon2-lon1)/sin(distance)
Il en découle que pour toute destination se trouvant dans l'hémisphère défini par le plan passant par le point de départ et perpendiculaire au méridien du lieu, et par le pôle nord (pour un départ depuis l'hémisphère nord) la direction de départ est tournée vers le nord. Pour tout point du grand cercle intersection de la sphère et du plan ci-dessus, et notamment pour les antipodes, le cap de départ vaut 90°.
en bleu la loxodromie, en vert l'orthodromie

La caractéristique essentielle d'une orthodromie est le vertex c'est à dire le point de plus forte latitude de l'itinéraire. Les coordonnées de ce point, lonV et latV, sont données par:
tan(lonV-lon1) =  1/(tan(cap0)sin(lat1))
cos(latV) = cos(lat1)sin(cap0)
L'équation du grand cercle est, lonA et latA étant les coordonnées du point courant:
tan(latA) = tan(latV).cos(lonA-lonV).
Le cap à suivre au point A est donné par capA = pi - arcsin(cos(latV)/cos(latA)).
On a la relation: sin(capA).cos(latA) = cos(latV) = constante.
Il en résulte qu'en tout point de l'itinéraire, si l'on connait la latitude, le cap à suivre s'en déduit automatiquement.

Avant la mise au point du pilote automatique on a pratiqué la navigation à l'estime. Le terme 'estime' n'a ici rien à voir avec la pratique de la vue de nez ou du doigt mouillé, quoi qu'en disent trop d'auteurs! La technique de l'estime a des bases mathématiques.
Elle permet de calculer une approximation d'une position à partir de la précédente et de la connaissance du chemin parcouru S et de l'angle de route R.
On a recours à l'équation de la loxodromie qui s'écrit: lon2 - lon1 = (lac2 -lac1).tan(R) où lac est la latitude croissante (voir article du mois précédent intitulé 'de la boussole au logarithme: la loxodromie').
L'approximation consiste à remplacer le facteur (lac2 - lac1) par sa dérivée. En appelant lam la moyenne de lat1 et lat2 cette dérivée s'écrit (lat2-lat1)/cos(lam).
Pour la latitude on retient l’approximation: lat2 - lat1 =  S.cos(R).
On obtient alors: lon2 = lon1 + S.sin(R)/cos(lam).
Ce sont là les formules de la navigation à l'estime, valables tant que le chemin parcouru reste faible.
Elles semblent avoir été utilisées de façon empirique dès le moyen âge.

Les cartes utilisables en mer sont des projections de Mercator sur lesquelles ne peuvent figurer les orthodromies.
L’Ingénieur Général Hydrographe de la Marine Alexandre-Pierre Givry (1785-1867) a mis au point une technique pour tracer facilement sur une carte de Mercator une orthodromie approchée, joignant deux points pas trop espacés.
Givry assimile l'arc d’orthodromie dessiné sur la carte Mercator à un arc de cercle. En développant la formule des sinus qui veut que le rapport des sinus des angles de route orthodromique au départ et à l'arrivée soit égal à l'inverse du rapport des cosinus des latitudes, on peut, à l'issue d'une cuisine trigonométrique très 19ème siècle, éliminer ces angles de route.
En appelant C la correction Givry, c'est à dire l'angle à ajouter à la route loxodromique désignée par R, on obtient avec les mêmes notations que ci-dessus, l'égalité suivante:
tan(C) = tan(R).tan((lat2-lat1)/2).tan(lam).
On élimine alors R par la formule de la navigation à l'estime: tan(R) = ((lon2-lon1)/(lat2-lat1)).cos(lam).
Et en faisant l'hypothèse que la différence de latitude reste faible (angle égal à sa tangente), on obtient:
tan(C) = (1/2)(lon2-lon1).sin(lam).

Le résultat est remarquable de simplicité... et d'approximation comme le montre la figure ci-dessous:

en noir l'arc de cercle Givry, en vert l'orthodromie


 Embarquons sur le jet, dessiné en bleu dans les figures ci-dessous, qui part le 25 décembre à 14h de Londres pour Darwin (130.8 E, 12.4 S) en Australie, sans escale (!).

décollage à 14h00 UTC

Au moment du départ il est 22h43 à Darwin et c'est la nuit la plus courte de l'année.
Le vol durera un peu plus de 17h. La distance orthodromique est de 13.850 km et elle permet d'économiser une heure de vol (770 km) sur la distance loxodromique.
La latitude du vertex est de 56.1°, soit 4.6° plus au nord que Londres, le cap de départ sera 63.8° (nord nord-est) et tout au long du voyage on aura l’identité sin(cap).cos(lat) = 0.558.
Il restera au pilote à tenir compte de la dérive due aux vents...

à 14h55 UTC le soleil se couche sur l'avion après 0h55 de vol, à Londres ce sera à 15h48, presqu'une heure plus tard.

 L'avion gagne en latitude et atteint le vertex à la latitude de 56.1° après 2h42 de vol.
La longitude de ce point est de 32.3°E, l'avion passera donc la ligne de l'équateur à la longitude 90 + 32.3 = 122.3°E. A ce moment, en vertu du lien entre cap et latitude, le cap sera égal à la latitude du vertex augmentée de 90°: 146.1°.
Moscou est survolé à 17h07 UTC: il est au sol 19h37.


19h35 UTC l'avion rencontre le méridien de changement de date locale
L'avion retrouve la latitude de Londres aux environs d'Astana capitale du Kazakhstan et minuit arrive avec 4h25 d'avance, autant de temps perdu pour les passagers!

0h15 UTC le soleil se lève sur l'avion, la nuit a duré 9h20, la précédente à Londres avait duré 16h20, il est 6h56 au sol
Après le survol de Hanoï l'avion passera la ligne de l'équateur, à la longitude 122.3°, au dessus de Bornéo, à 5h14 UTC, il sera 13h23 au sol.


atterrissage à 16h02 locales, il est 7h19 à Londres
L'avion parti le 25/12 à 14h, arrive le 26/12 à 16h02 après 17h19 de vol.
Pendant le vol qui a duré 17h19 les passagers ont vécu administrativement 26h02. L'excédent de 8h43 est égal au décalage horaire entre Londres et Darwin.
Le soleil se couchera à Darwin à 18h24, soit 9h39 UTC, c'est à dire une heure et demi après qu'il se soit levé à Londres: nuit et jour sont inversés...




créationnisme et darwinisme




samedi 9 avril 2016

Cercle et hyperbole, trigonométries circulaire et hyperbolique

Cône et coniques
Sur un chapeau tonkinois, cône d'angle au sommet égal à 90°, la trace de l'intersection par un plan qui pivote autour de la droite en noir, tangente au cône, passe de l'ellipse en bleu à l'hyperbole en rouge.
Trois traces sont particulières: le cercle et la parabole en bleu gras et l'hyperbole équilatère en rouge gras.
Apollonius de Perge (-260/-190) s'est consacré à l'étude des coniques dans une somme de huit livres: Éléments des Coniques, ouvrage traduit et publié en 1710 par l'astronome anglais Edmond Halley (1656-1742).
Apollonius, qui évidemment ne connaissait pas l'analyse, a eu recours, pour caractériser les coniques à une comparaison de surfaces. Pour un point de la parabole, courbe qui fait la transition entre ellipses et hyperboles, il construit un rectangle (ci dessous en jaune) dont le petit coté est l'abscisse et dont l'aire est égale à celle du carré (ci dessous en bleu) construit sur l'ordonnée. Il constate alors que le grand coté du rectangle ne varie pas quand il déplace le point sur la parabole et il détermine ainsi l'équation de la parabole: y^2 = x.

pour la parabole le grand coté du rectangle jaune ne varie pas

Il trace alors une ellipse et une hyperbole tangentes en un sommet commun de telle façon qu'elles ne recoupent pas la parabole. Et, puisque pour l'ellipse l'aire du carré est moindre que l'aire de référence du rectangle de la parabole, et que c'est le contraire pour l'hyperbole, il baptise ainsi les coniques: parabole signifie en grec 'comparable', ellipse vient du verbe grec 'manquer' et hyperbole veut dire 'au delà'.
Ces trois termes sont repris avec la même signification pour des figures de rhétorique.
L'équation de la conique générale s'écrit, à un coefficient de proportionnalité près, y^2 = x + k.x^2.
Pour k négatif on a une soustraction par rapport à la parabole: c'est l'ellipse. Si k est positif on a une addition: c'est l'hyperbole. k est le carré du rapport des axes de la conique affecté du bon signe et on note k = (e^2-1) où e est l'excentricité, définie comme le rapport de la distance focale au demi-grand axe.

Au dix-huitième siècle le jésuite vénitien Vincenzo Riccati (1707-1775) cherche à calculer la surface comprise entre l'hyperbole équilatère et ses asymptotes. Il utilise les logarithmes et la propriété de l'hyperbole équilatère qui permet de les représenter puisque la fonction logarithme est l'intégrale de la fonction y = 1/x (voir article précédent sur la loxodromie).

les aires des  surfaces en bleu sont égales
Soit f(x) une fonction quelconque. Pour une valeur donnée de x le logarithme de f(x) est égal à l'aire de la surface en bleu de la figure de droite et aussi, par addition et soustraction, à celle de la figure de gauche.
Soit M le point (x, f(x)) et P le projeté de M sur l'axe de symétrie de l'hyperbole. La droite OP est coupée par les parallèles aux axes orthonormés en deux points dont les distances à l'origine O sont rac(2).f(x) et rac(2)/f(x). La longueur OP est donc égale à (f(x)+1/f(x))/rac(2) et la longueur PM à (f(x)-1/f(x))/rac(2). Les longueurs OP et PM sont les coordonnées du point M dans le système d'axes composé des axes de symétrie de l'hyperbole.
L'aire du triangle OPQ est égale à OP^2/2, celle de la surface délimitée en vert est égale à 1, celle du triangle qui la surmonte est égale à PM^2/2 et on a donc OP^2 - PM^2 = 2.
En procédant à une homothétie de facteur 1/rac(2) on obtient OP^2 - PM^2 = 1. 
C'est par analogie avec le cercle pour lequel on a cost^2 + sint^2 = 1 que Vincenzo Riccati a appelé ces coordonnées, cosinus hyperbolique et sinus hyperbolique puisque la relation cht^2 - sht^2 = 1 conduit à des formulaires très semblables dans les deux trigonométries circulaire et hyperbolique.

Un choix judicieux de la fonction f(x) va alors donner un sens à la surface en bleu égale à son logarithme: il suffit de retenir la fonction réciproque du logarithme, ce que fera Jean-Henri Lambert (1728-1777), l'inventeur de la projection cartographique Lambert toujours en usage.

On connait la fonction puissance pour des valeurs entières des nombres: 2^2, 2^3, 2^4...qui s'écrit avec les exposants 2, 3, 4...On sait aussi que le logarithme en base 2 de 2^3 est alors égal à 3. En "bouchant les trous" entre les entiers on obtient la fonction réciproque et symétrique du logarithme appelée 'exponentielle' notée exp(x). On note exp(-x) la fonction 1/exp(x).
 
en gris la fonction logarithme, en rouge exp(x), en bleu exp(-x)

 La courbe de la fonction exponentielle recèle des propriétés remarquables: la sous-tangente (segments en rouge et en bleu gras) est constante et égale à 1 ce qui fait que la courbe est aussi celle de sa dérivée et de son intégrale.
Pour la même valeur de x les tangentes aux courbes exp(x) et exp(-x) sont perpendiculaires. Le segment (en jaune) qui joint leur point de concours Y à l’abscisse x a aussi une longueur constante et égale à 1. Le point Y décrit une courbe appelée tractrice car c'est celle que suit un animal attaché par une laisse à son maître lorsque celui-ci se déplace en ligne droite. L'aire de la surface en bleu entre la tractrice et l'axe des abscisses est égale à pi/2 !

En retenant la fonction exponentielle pour la figure hyperbolique étudiée plus haut et en faisant une homothétie on obtient la figure suivante (sur laquelle on peut noter que les quarts de cercle en vert délimitent deux surfaces d'aire égale à sin(2.t).(pi - 2) / 4).


l'aire de la surface en rose est égale à t/2 (celle de la surface en bleu, également)

La figure met en évidence les coordonnées d'un point de l'hyperbole dans le système d'axes composé de ses axes de symétrie. Ces coordonnées sont les fonctions sinus hyperbolique sh(t) = (exp(t)-exp(-t))/2 et cosinus hyperbolique ch(t) = (exp(t)+exp(-t))/2.
Il  y a cependant une différence considérable entre les deux sortes de lignes trigonométriques car les fonctions sh(t) et ch(t) ont des branches infinies.


en rouge les fonctions exp(u) et exp(-u), en vert sh(u) et ch(u); l'aire de la surface grise est le double de u
Ces nouvelles fonctions ne sont pas anecdotiques car elles permettent de calculer facilement de nombreuses intégrales.
Le mathématicien allemand Christoph Gudermann (1798-1852) a laissé son nom à une fonction qui permet de passer facilement d'une trigonométrie à l'autre. Cette fonction, notée gd(x), est l'intégrale de l'inverse du cosinus hyperbolique. Sa réciproque est l'intégrale de l'inverse du cosinus circulaire qui s'écrit aussi ln(tan(pi / 4 + x / 2)). On retrouve ici la formule de la latitude croissante utile pour construire une carte de Mercator (voir article précédent sur la loxodromie).
On appelle gudermannien de v, le réel u tel que sh(v) = tan(u), ce qui s'écrit aussi ch(v) = 1/cos(u). On a alors v = ln(tan(pi/4+u/2)).
La figure ci-dessous montre l'imbrication du cercle et des lignes trigonométriques circulaires, d'une part, avec l'hyperbole équilatère et les lignes hyperboliques d'autre part.


d'après Warusfel, in Dictionnaire Raisonné de Mathématiques, 1966

L'aire du secteur en rouge est égale à u / 2, celle de la surface en bleu à v / 2. On a tan(u / 2) = th(v / 2) = t = segment AK.
Cette figure donne aussi un procédé de construction de l'hyperbole et de sa tangente à partir de la droite BC et de la tangente en C au cercle.

Une autre utilité des recherches de Riccati est constituée par la courbe de la fonction cosinus hyperbolique qui se rencontre souvent dans la nature ou dans le quotidien.
En effet cette courbe appelée "chaînette" est la forme que prend une chaîne ou un fil pesant suspendu entre deux points.


Cette position d’équilibre répartit exactement la tension entre tous les points du fil et donc la minimise. Certains architectes et ingénieurs ont cherché à se rapprocher de la chaînette inversée pour construire des arches, des coupoles ou des dômes.

la chaînette

 Les propriétés de la chaînette sont remarquables. L'abscisse curviligne, ici en rouge, est égale à sh(x) ainsi que sa dérivée et aussi son intégrale, ici en rose. Sa développante est la tractrice. Le rayon de courbure, ici en bleu, est égal à la normale aussi en bleu et leur valeur est le carré de ch(x).

Par ailleurs les lignes trigonométriques hyperboliques interviennent dans certaines géométries non-euclidiennes qui rejettent le cinquième postulat d'Euclide sur l'unicité de la parallèle à une droite donnée passant par un point donné, notamment celle de Nikolaï Lobatchevski (1792-1856) et Henri Poincaré (1854-1912), appelée géométrie hyperbolique.

Le théorème de Pythagore s'écrit:

en géométrie euclidienne a^2 = b^2 + c^2,
en géométrie sphérique cos(a) = cos(b).cos(c) et
 en géométrie de Lobatchevski ch(a) = ch(b).ch(c).

disque de Poincaré par D.E. Joyce, Clark University, MA

Enfin, la fonction exponentielle a été étendue, de façon très féconde pour la trigonométrie, aux nombres imaginaires en définissant l'exponentielle complexe de l'imaginaire (x + i.y), où i est tel que i^2 = -1:  exp(x + i.y) = exp(x).exp(i.y) = exp(x).(cos(y)+i.sin(y)).
De la formule exp(i.y) = cos(y) + i.sin(y), on tire cos(u) = ch(i.u) et ch(u) = cos(i.u), etc...

En faisant y = pi, on a l'identité d'Euler (1707-1783):
Cette formule n'a aucune signification, mais d'abord elle est exacte, et ensuite elle relie par les opérations fondamentales les nombres-clés des Mathématiques.

Autre présentation, encore plus énigmatique, avec la constante de Gelfond (1906-1968):
 






mardi 29 mars 2016

De la boussole au logarithme: la loxodromie

Les Anciens pratiquaient presque exclusivement la navigation de cabotage, allant de port en mouillage. Se repérer en mer n'était pas une nécessité absolue et en cas de besoin on se fiait au soleil et aux étoiles.
La propriété de l'aiguille aimantée de désigner à peu de chose près la direction du nord, découverte en Chine au début du premier millénaire, est apparue en Occident au Moyen-Âge. L'oxyde de fer Fe3O4, à la base du phénomène de l'aimantation, est l'un des plus répandus dans les roches cristallines et cette propriété se transmet d'objet à objet.
copyright latoilescoute

La boussole va ouvrir alors des perspectives révolutionnaires aux navigateurs de tout poil de la Renaissance: aventuriers, explorateurs, marchands, corsaires, marines militaires, en leur permettant de se mesurer à la navigation hauturière. Le nord magnétique se déplace lentement au fil du temps et un étalonnage doit être fait périodiquement.
 
José Maria de Hérédia (1842-1905)


La voie est ouverte par Christophe Colomb (1451-1506), navigateur italien au service des "Rois très catholiques" Isabelle, reine de Castille et de Léon, et Ferdinand, roi d'Aragon. Ceux-ci viennent de chasser le 2 janvier 1492 les Musulmans de leur dernier fief espagnol, Grenade.
Parti le 3 août 1492 de Palos, au sud ouest de l'Espagne, Colomb, navigant au sud-ouest, atteint les Canaries le mois suivant puis, navigant alors selon cette latitude (proche de celle du tropique du Cancer, 23.4°), il aborde les "Indes" à l'île San Salvador (Bahamas) le 12 octobre 1492. Il se croit à Cipango, île du Japon ainsi baptisée par Marco Polo (1254-1324). Après la découverte de Cuba et de Saint Domingue le voyage de retour se déroule du 16 janvier 1493 au 4 mars et Colomb retrouve l'Europe à Lisbonne, non loin de son point de départ sept mois plus tôt.
Le globe terrestre a doublé de volume!



La boussole permet au marin de tenir un cap constant, au Moyen Âge on dit "suivre un rhumb", mais quel rhumb choisir pour aller d'un point du globe à un autre?
Pour exploiter complètement les nouvelles possibilités d'orientation, il faut alors établir des cartes marines figurant les contours des côtes et faisant apparaître facilement la route à suivre à l'aide de la boussole. 
Sur le globe terrestre la route déterminée par un cap constant est une courbe qui coupe les méridiens suivant le même angle et qui s'enroule autour de l'axe des pôles. Cette courbe porte le nom de "loxodromie" du grec "course oblique".
une loxodromie tracée sur la terre
 
la loxodromie est une hélice tracée sur une sphère


En retenant une projection sur le cylindre tangent à l'équateur on pourra rendre compte de cette propriété: les méridiens seront des droites verticales et la route suivie sera représentée par une ligne droite inclinée sur l’équateur de la valeur du cap retenu et coupant tous les méridiens suivant cet angle.
Mais quid des latitudes? Quelle échelle retenir pour que l'extrémité de la droite représentant une loxodromie partant de l'équateur coïncide avec le but à atteindre car ce point est plus haut que ce que donnerait le simple report de la valeur de la latitude: il y faut une dilatation! On parle de "latitude croissante"
La question de cette projection cylindrique conforme est restée insoluble sur le plan théorique jusqu'à l'invention du calcul différentiel et des logarithmes au début du XVII ème siècle.
La difficulté provient de ce qu'il faut construire les outils mathématiques qui permettent de concilier deux géométries de nature différente: celle du plan et celle de la sphère qui n'est pas euclidienne.

La première étape est le fait d'un mathématicien portugais, théoricien hors pair, Pedro Nunes (1502-1574) qui, après plusieurs publications dès 1537, fait paraître à Bâle en 1566 son ouvrage complet sur la loxodromie en établissant le principe des calculs qu'il convient de faire en trigonométrie sphérique pour construire une table des valeurs approchées des "latitudes croissantes". Mais il se garde bien de procéder à ces calculs très lourds. D'Hollander (1918-2013), ingénieur général géographe, dans son ouvrage "Loxodromie et projection de Mercator" publié en 2005 par l'Institut Océanographique et qui est la référence en la matière, s'y est attelé et a constaté des approximations inférieures à 2%.

Lisbonne, monument des découvreurs. Nunes fait une mesure sur un globe

La deuxième étape est franchie par le cartographe flamand Gérard Mercator (1512-1594) qui réalise en 1541 un globe terrestre de diamètre 41 cm, avec le dessin des loxodromies correspondant à de nombreuses roses des vents centrées judicieusement et indiquant les arcs pour les sept rhumbs habituels à l’époque: 11.25°, 22.5°, 33.75°, 45°, 56.25°, 67.5° et 78.75°. Les écarts entre le dessin et la théorie tels que mesurés et calculés par D'Hollander, ne dépassent qu'exceptionnellement 0.5°.
Après fabrication et vente de nombreux globes, Mercator, qui s'est installé en Allemagne à Duisbourg, présente en 1569 sa célèbre carte " Ad usum navigantium...", "gigantesque planisphère de plus de deux mètres de long... un des évènements les plus importants de la cartographie mondiale" selon D'Hollander.
Cet auteur a procédé à l'analyse de toutes les recherches mathématiques qui ont été menées pour découvrir le secret mathématique utilisé par Mercator, mais sa conclusion est que celui-ci est vraisemblablement passé directement de son globe à sa carte, utilisant les tracés du premier pour établir le canevas de la seconde.
Mercator: nord magnétique et géométrique
Mercator: planisphère de 1569

Edward Wright (1561-1615), mathématicien anglais, publie en 1599  l'ouvrage "Certaine errors..." dans lequel il expose sa "méthode des sécantes cumulées". Il se rapproche ainsi de la solution.
La quadrature par Wright
 Wright note que la longueur de l'arc de parallèle compris entre deux méridiens voisins varie comme le cosinus de la latitude et donc qu'il faut dilater cet arc en fonction inverse de ce cosinus pour lui donner une longueur égale à celle de l'arc de l'équateur. Il fait alors l'hypothèse qu'il doit en être de même pour la latitude.
De proche en proche et régulièrement il calcule alors ces coefficients et les cumule pour obtenir le coefficient à appliquer pour une latitude donnée. L'inverse du cosinus est désigné par le terme "sécante" d'où le nom de la méthode. Sa formule des latitudes croissantes est :
latitude croissante = 1/cos(1°)+1/cos(2°)+1/cos(3°)+..........+1/cos(latitude).
Le résultat est remarquablement bon et l'approximation inférieure à 0.3°.

L'invention des logarithmes va permettre d'établir la formule donnant les latitudes croissantes.
Ils sont imaginés par John Neper (1550-1617), mathématicien écossais, pour faciliter les calculs astronomiques.
En effet, sur les grands nombres, les additions sont bien plus faciles à effectuer que les multiplications. Au Moyen Âge on utilisait les formules trigonométriques telles que cos(a).cos(b) = (cos(a+b)+cos(a-b))/2 pour transformer une multiplication en une addition, mais ce n'était pas très pratique.
Neper a eu l'idée en 1614 de faire se correspondre les termes de deux progressions:
l'une arithmétique comme celle de raison 1:       0, 1, 2, 3,  4,  5,  6
l'autre géométrique comme celle de raison 2:     1, 2, 4, 8, 16, 32, 64
Il désigne par "logarithme en base 2" le nombre de la progression arithmétique qui correspond à celui de même rang dans la progression géométrique: par exemple log(4) en base 2 = 2, log(8) = 3 et log(32) = 5 .
On vérifie bien que log(4) + log(8) = 2 + 3 = 5 = log(4x8): la multiplication de 4 par 8 est devenue une addition de 2 et 3.
En faisant de très nombreux calculs on a ainsi construit des tables de logarithmes avec plus ou moins de décimales.

Le jésuite flamand Grégoire de Saint Vincent (1584-1667), utilisant les méthodes de son époque, a pu faire la quadrature de l’hyperbole équilatère et a démontré que l'aire comprise entre la courbe et son asymptote a un comportement logarithmique: si les abscisses croissent de façon géométrique, les aires croissent de manière arithmétique.

hyperbole équilatère et logarithme: abscisses proportionnelles (ici facteur 2) et aires égales
 La surface jaune est égale à celle du carré vert, soit 1. Cette surface est obtenue lorsque la variable est égale au nombre 2.718281828...que l'on désigne aujourd'hui par e en l'honneur du savant suisse Léonhard Euler (1707-1783).
En reliant l'abscisse x à la surface entre l'abscisse 1 et cette abscisse x on crée la fonction Logarithme qui a pour base le nombre e, avec Log(1) = 0 et Log(e) = 1. Cette fonction a longtemps été appelée logarithme hyperbolique avant logarithme népérien. Tous les logarithmes construits sur d'autres bases s'en déduisent par une simple division par le logarithme népérien de la base.


L'astronome anglais Edmond Halley (1656-1742) avait la pratique de ces nouveaux outils mathématiques et aussi celle de l'astrolabe mis au point par les anciens. Cela lui a permis de donner en 1696 de façon très élégante une démonstration de l'équation de la loxodromie.
En effet il existe une courbe plane qui, comme la loxodromie, est caractérisée par le fait que l'angle tangentiel polaire est constant. C'est la spirale logarithmique.
Par ailleurs l'astrolabe utilise la propriété de la projection stéréographique d'une sphère sur un plan d'être conforme, c'est à dire de conserver à un angle sa valeur. Le rapprochement des deux livre la solution!
 
 le rayon vecteur varie de façon géométrique, l'angle au centre, de façon arithmétique

L'équation de la spirale logarithmique est: Log(rayon vecteur) = (angle au centre)/tan(V) où V est l'angle tangentiel.
Si alors on fait une projection stéréographique de la sphère terrestre sur le plan de l'équateur à partir du pôle sud, la projection de la loxodromie sera une courbe dont l'angle tangentiel est constant et égal au cap suivi: une spirale logarithmique.

la spirale logarithmique projection de la loxodromie

Soit la loxodromie de cap V sur la sphère de rayon 1. Désignons la longitude du point L par lon et sa latitude par lat.
Le point S est la projection du point L. L'angle entre l'axe nord sud et la droite joignant le pôle sud aux points L et S est égal à pi/4-lat/2. La projection stéréographique donne donc OS = tan(pi/4-lat/2).
L'équation de la spirale donne Log(OS) = -lon/tan(V).
Il en découle: Log(tan(pi/4-lat/2)) = -lon/tan(V), ce qui s'écrit: lon = tan(V).Log(tan(pi/4+lat/2)).
Telle est l'équation de la loxodromie.
Si on veut construire une carte plane où, à cap constant, le navire décrit l’hypoténuse d'un triangle rectangle, il faut retenir comme latitude croissante la valeur lon/tan(V) c'est à dire:
latitude croissante = Log(tan(pi/4+lat/2)).
Telle est la formule du secret mathématique de la carte de Mercator.
Une table des logarithmes des tangentes livre donc pour une latitude déterminée la valeur de la latitude croissante à retenir sur la carte.
L'étudiant en mathématiques voit alors que ce logarithme n'est autre que l'intégrale de la fonction 1/ cos(lat), ce qui valide la méthode des sécantes cumulées de Wright qui s'apparentait à une intégration.
Il voit aussi que la latitude n'est autre que le gudermannien, ou amplitude hyperbolique de la latitude croissante, mais c'est une autre histoire qui va être évoquée plus tard.