jeudi 1 mai 2014

la découverte de l'organisation du système solaire: le génie de Kepler

Pour les civilisations très anciennes, les 5 planètes, astres mobiles, sont des divinités qui semblent divaguer à leur guise. Puis les philosophes et savants grecs estiment qu'elles obéissent à des règles suprêmes commandées par les dogmes du cercle parfait et de l'uniformité des mouvements. 
Claude Ptolémée (90-168), faisant la synthèse des conceptions de l'époque, décrit l'organisation du système solaire qui va être en vigueur pendant 15 siècles dans "La Composition Mathématique", ouvrage traduit en arabe sous le nom "la très grande...", c'est à dire "Almageste", puis, après la perte de l'original grec lors des invasions, traduit à nouveau en latin à partir du 13ème siècle. 
La terre immobile est placée au centre de l'univers, le soleil décrit un cercle excentré par rapport à la terre, les planètes décrivent des cercles épicycles centrés eux-mêmes sur des cercles déférents de diamètres variés, convenablement inclinés, dont les centres sont excentrés par rapport à la terre. Un point appelé équant, symétrique de la terre par rapport au centre du déférent, détermine la vitesse angulaire uniforme de la planète. Cette usine à gaz semble indessinable!
Cependant le système de Ptolémée est en conformité avec les observations, au degré de précision près de celles-ci, mais l'absurdité de la non-rotation de la terre sur elle-même est gommée.
L'héliocentrisme n'était imaginé que par quelques minoritaires. Archimède (-287/-212) cite ainsi Aristarque de Samos (-320/ -250).
Après des siècles de silence la science astronomique occidentale se réveille avec le chanoine polonais Nicolas Copernic (1473-1543), aussi médecin et astronome, qui propose, mais sans preuve et sous le manteau, d'améliorer l'explication de Ptolémée en abandonnant le géocentrisme au profit de l'héliocentrisme ce qui permet de supprimer l'artifice des points équants. Il ressuscite ainsi les thèses des minoritaires grecs rentrées en grâce dans les milieux intellectuels de la fin du Moyen Age.
Mais le nombre important des cercles nécessaires pour valider la marche des planètes n'est guère compatible avec la simplification revendiquée.
La bataille, d'ordre philosophique plutôt que scientifique, commence entre les tenants de Ptolémée et ceux de Copernic dont l’œuvre, parue à sa mort, "De Revolutionibus Orbium Coelestium", est condamnée aussitôt par Luther puis en 1616 par le pape. 
Plus de 50 ans après la publication de l’œuvre de Copernic, en 1596, Johannes Kepler (1571-1630), jeune mathématicien allemand partisan de Copernic, fait paraître "Mysterium Cosmographicum", un traité expliquant l'architecture des planètes autour du soleil à partir de spéculations quasi-mystiques sur les polyèdres réguliers...
Tycho Brahé (1546-1601), astronome danois et observateur hors pair fut intéressé par le livre et lorsqu'il doit se réfugier à Prague en 1600, il propose à Kepler, lui-même pourchassé par la persécution religieuse, de l'y rejoindre. Il lui confie alors le problème jugé inextricable de modéliser l'orbite de la planète Mars, à partir de ses très précises observations.
La Science a de la chance car Mars est la planète dont l'excentricité est la plus forte, à l'exception toutefois de Mercure, mais cette planète, toujours peu éloignée du soleil, est difficile à observer surtout dans les frimas danois.
Mars va trahir le vrai secret cosmographique et le génie de Kepler va changer l'Histoire.
Dix années de calculs, de réflexions, d'intuitions seront nécessaires de 1600 à 1609.
Remettant d'abord le soleil vrai et non le soleil moyen de Copernic au centre de l'orbite de Mars il montre la stabilité de l'angle entre les plans des orbites de mars et de la terre (l'existence de cet angle complique grandement les calculs). Cela corrobore son intuition d'un soleil qui ferait se mouvoir les planètes.
C'est donc bien ce soleil vrai qu'il faudra considérer par la suite.
Puis, ayant constaté que plusieurs positions de Mars sont incompatibles avec une orbite centrée sur le soleil, il calcule l'excentricité à lui donner et constate que celle-ci est variable, ce qui est inconcevable! Conclusion: l'orbite n'est pas un cercle.
Devant les complications qui s'annoncent et pour être en terrain sûr, Kepler veut vérifier que les hypothèses faites sur la position de la terre à partir de laquelle sont évidemment faites les mesures des positions de Mars, n'introduit pas un biais par rapport au soleil. Il imagine ainsi de calculer l'orbite de la terre à partir de Mars! C'est possible car tous les 687 jours cette planète revient au même point de l'espace alors que la terre dans le même temps progresse d'un tour et 10/12 de tour. Il constate alors que l'orbite de la terre est une sorte de cercle un peu aplati et légèrement excentré par rapport au soleil. Il constate aussi que la planète va plus vite quand elle est près du soleil et moins vite quand elle en est le plus éloignée. Il pense à une relation inversement proportionnelle entre vitesse et distance.
Ensuite, sans percer le mystère de cette orbite, et reprenant l'hypothèse du cercle excentrique, il a l'intuition d'évaluer, par une sorte de calcul différentiel avant l'heure, la surface balayée par le rayon et découvre ainsi sa deuxième loi (avant la première): cette surface est proportionnelle au temps.
Quelle révélation a du être pour lui cette découverte, et quelle jubilation!
Il est le premier à connaître la vraie loi fondamentale qui organise l'univers!
Mais l'enjeu est l'orbite de Mars, alors il reprend les calculs des positions de Mars sur ces nouvelles bases et constate qu'il faut sans ambiguïté rejeter la solution du cercle: chaque position conduit à un cercle différent...
L'orbite est donc une figure ovale, une sorte d’œuf. Reste à préciser la forme exacte de cet ovoïde!
Kepler s'acharne alors à examiner les résultats que donnent diverses hypothèses faites sur l'excentricité et ne débouche sur rien. Il se résout enfin à tracer point par point l'orbite à partir des positions calculées: l'ellipse lui crève les yeux mais il ne la voit pas!
A l'issue de considérations géométriques plus ou moins absconses sur l'ellipse car il veut théoriser la courbe obtenue, il se rend à l'évidence : l'orbite est une ellipse dont le soleil est un foyer.

Kepler a réussi: Mars est son "très noble prisonnier...acquis...en un combat difficile et laborieux", comme il l'écrit en 1609 dans "Astronomia Nova" qui est un véritable reportage sur cette bataille.

La troisième loi est révélée presque accidentellement en 1619 dans "Harmonices Mundi" qui reprend les considérations quasi-mystiques du premier livre de Kepler.
On peut d'ailleurs s'étonner de ce que cette loi qui établit la proportionnalité entre le cube du rayon moyen de l'orbite et le carré de la durée de la période de révolution n'ait pas été énoncée plus tôt par un astronome gagné à l'héliocentrisme et imaginatif, occidental, arabe ou grec, car elle ne découle pas des deux premières lois et ne nécessite que des calculs simples. Elle aurait été un argument de poids pour l'héliocentrisme!

Bien sûr ces lois ne sont qu'expérimentales, ce que regrette Kepler, mais la science mathématique de l'époque ne permet pas d'aller plus loin et c'est Newton (1643-1727) qui montrera en 1686, 80 ans plus tard, dans "Principia Mathematica" que ces 3 lois sont, ensemble, les conséquences de l'attraction universelle inversement proportionnelle au carré de la distance.

l'orbite de mercure et l'hodographe de son mouvement
 L'excentricité de l'orbite de mercure, 0.2056, est bien plus importante que celle de mars, 0.0934, (celle de la terre vaut 0.01671) et, en proportion, les foyers de l'ellipse de mars sont 2.2 fois plus rapprochés que ceux de mercure et l'épaisseur de la "lunule" entre cercle et ellipse de mars au voisinage du petit axe n'est que 20% de celle de mercure. L’écart entre grand et petit axe n'est que 0.0044!
C'est dire la précision qu'il fallait obtenir dans les observations et les calculs! 

Kepler a cherché à expliciter la position de la planète en fonction du temps, mais ni la géométrie ni la trigonométrie n'étaient alors assez développées. De plus les successeurs de Kepler ont constaté qu'on ne peut relier directement le temps et l'angle de position et qu'il faut passer par une variable intermédiaire. Soit m' le point du cercle principal de l'ellipse qui donne par affinité le point où se trouve mercure, cette variable intermédiaire est l'angle, mesuré depuis le centre du cercle, que fait la direction de ce point m' avec la direction du périhélie. On l'appelle l'anomalie excentrique, notons le "u".
Sur la figure sont marqués en bleu l'angle de position appelé anomalie vraie, notons le "v", en gris l'angle équivalent au temps appelé l'anomalie moyenne, notons le "M" et en rouge l'anomalie excentrique u.
La question est de formuler la loi des aires avec ces variables. Le calcul de la surface balayée depuis le centre par le point m' fait intervenir le sinus de l'angle u et en y retranchant la surface du triangle centre/soleil/m' on obtient la surface balayée depuis le soleil par le point m' en fonction de l'anomalie excentrique. La surface balayée par la planète lui est proportionnelle dans le rapport des axes. Tous calculs faits l'équation de la loi des aires s'écrit: u-sin(u)=M, c'est une équation transcendante soluble par itération ou par emploi de séries. Il reste à relier v et u, cela se fait en calculant d'abord la longueur du rayon vecteur en fonction de u et de v, puis en torturant les égalités obtenues au moyen des formules de trigonométrie, un peu comme fait celui qui invente des "colles de trigo" à poser à ses élèves. On trouve, entre autres, que les tangentes des demi anomalies, vraie et excentrique, sont liées par un coefficient de proportionnalité, simple fonction de l'excentricité.
Ainsi, pour un instant M, on résout d'abord l'équation de Kepler puis on calcule l'angle de position et, en prime, le rayon vecteur.
C'est si simple que Kepler pourrait se retourner de joie dans sa tombe, mais il n'y a pas de tombe de Kepler, seulement un monument à Ratisbonne où est gravée l'épitaphe qu'il avait composée lui-même (en latin): 
Moi qui ai mesuré les cieux, je mesure maintenant les ombres de la terre
L'esprit était céleste, ici gît l'ombre du corps
Comparons la marche de mercure sur son orbite à partir du périhélie à celle d'un mobile à rotation uniforme qui se retrouverait au bout d'une révolution de mercure au périhélie en même temps que la planète. Au départ la vitesse de mercure dépasse sensiblement celle du mobile et la planète prend de l'avance. L'écart entre les deux (anomalie moyenne du mobile et anomalie vraie de mercure) s'appelle l'équation du centre. Quand mercure a fait un quart de tour, son concurrent n'en est qu'à un sixième et l'écart s'accroît jusqu'au point m1 où il est maximum et vaut 24°. Ce point précède le moment où mercure passe au sommet du petit axe. L'écart diminue alors à partir du point m1 et au point m3 mercure se trouve à mi-chemin de l'aphélie en terme de temps. Le mobile rattrape mercure à l'aphélie et lui passe devant: il va faire la course en tête jusqu'au périhélie, de façon symétrique.
Les parties hachurées représentent l'une la surface balayée en 1 jour quand la planète est proche du périhélie, l'autre quand elle l' est de l'aphélie: ces surfaces sont égales.
Marquons F le deuxième foyer de l'ellipse: ce point n'est rien d'autre que le point équant de Ptolémée!
La vitesse linéaire de la planète, si chère à Kepler, s'exprime très simplement en fonction des rayons vecteurs de la planète depuis le soleil et depuis le point équant: elle est proportionnelle à la racine carrée de leur rapport. Cela signifie, entre autres, qu'en 2 points de l'orbite symétriques par rapport au petit axe, le produit des vitesses est une constante.
Une autre caractéristique est que cette vitesse de la planète est inversement proportionnelle à la distance du soleil à sa projection sur la tangente à l'orbite. Cette distance n'est jamais très différente du rayon vecteur, ce qui explique l'idée de Kepler d'une proportion inverse à ce dernier. La valeur du produit de la vitesse par cette distance est égale au double de la surface de l'orbite divisée par la période.
 Au périhélie la vitesse de mercure est de 58.98 km/s et à l'aphélie 38.86 km/s, la moyenne géométrique de ces deux valeurs est 47.87 km/s: c'est la vitesse de mercure quand elle est au sommet du petit axe. C'est aussi la vitesse d'un mobile régulier qui décrirait le cercle principal de l'ellipse avec la période de mercure. En effet 47.87 km/s équivaut à 0.02765 UA par jour (UA=unité astronomique=149.598.000 km). En divisant le périmètre du cercle principal de l'ellipse dont le rayon est pour mercure 0.3871 UA, par cette vitesse, on trouve 87.97 jours qui est la période de révolution de mercure! Magie de Kepler?
L'hodographe du mouvement képlerien, c'est à dire le lieu de l'extrémité d'un vecteur égal au vecteur vitesse, dont l'origine serait fixe, est très particulier: c'est un cercle ici dessiné en vert. Ainsi ce n'est pas le mouvement qui est circulaire mais la dérivée de celui-ci. Belle revanche pour Aristote!
La vitesse moyenne de la planète ne se livre pas facilement car si on connait cette vitesse à tout instant, par contre le périmètre de l'ellipse ne peut être calculé sans avoir recours à l'intégrale elliptique de deuxième espèce...La valeur approchée est 47.35 km/s (pour la terre: 29.78 km/s et pour mars 24.08 km/s). Mercure est alors au point m2.
L’observation attentive de la figure montre que le rayon vecteur issu du point équant, mieux appelé point d'égalité, reste pratiquement parallèle au rayon vecteur du mobile à rotation uniforme. Ce n'est pas une illusion: le calcul montre que l'écart est du deuxième ordre en fonction de l'excentricité. Pour mercure il ne dépasse pas 0.74°.
C'est ainsi qu'en première (et bonne) approximation certains astronomes du XVII ème siècle purent s'affranchir de la terrible équation de Kepler en calculant l'anomalie vraie directement à partir de l'anomalie moyenne sans passer par l'anomalie excentrique. L'erreur ainsi induite sur l'anomalie vraie varie de -35.3' à +40.5' pour mercure et de -7.3' à +7.9' pour mars, ce qui dépasse la précision des observations de Tycho Brahé.
Cette façon de faire valide en quelque sorte le principe de l'équant et constitue un hommage à Ptolémée!


Mercure, le tour du soleil en 88 jours



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