mercredi 22 mai 2019

l'arlésienne Mercure, jouet de l'écliptique

Alphonse Daudet (1840/1897) fait-il partie des Terriens qui ont aperçu la planète Mercure au cours de leur vie?
Il a, en tout cas, campé le personnage allégorique de l'arlésienne dont relève la planète la plus discrète des cinq visibles à l’œil nu!

le blog des sixièmes

 Quels sont les critères de la visibilité de ce corps céleste ultra rapide?


Toujours très proche du soleil sur l'écliptique, il faut attraper la planète lorsqu'elle se trouve au voisinage d'une quadrature avec le soleil, juste avant que celui-ci se lève ou juste après son coucher (voir à ce sujet l'article du présent blog en date du 24/04/2017 intitulé "Vous avez dit ÉCLIPTIQUE ?").

La période de la révolution synodique de 116 jours de la planète procure un peu plus de six quadratures chaque année, plus ou moins favorables à la visibilité.

L’observation peut réussir si, à la fois, le soleil est assez profondément sous l'horizon, au moins six degrés, et la planète suffisamment haute sur l'horizon, au moins huit degrés. Cet écart est primordial car autrement la faible magnitude de Mercure fait qu'elle s'efface dans la clarté diffusée par le soleil.

"Le Soleil devait être monté au bord de l'horizon, et avant d'entreprendre sa course, contemplait le monde."
Charles Gos (1885/1949), Près des névés et des glaciers, Le Cervin de Zmutt", 1911.

Il en découle que l'importance de l'angle de l'écliptique sur l'horizon au moment où le soleil se lève ou se couche est le critère déterminant: plus l'écliptique est redressé, plus la différence de hauteur entre les deux astres est grande.

Cet angle I est donné par la formule:

cos(I) = cos(e)sin(lat) - sin(e)cos(lat)sin(TS)

où e est l'excentricité, lat la latitude du lieu d'observation et TS le temps sidéral local.

La rotation de la Terre sur elle-même ne doit plus rien au Soleil, elle a été acquise lors de sa formation et à l'échelle de l'humanité elle reste sensiblement constante.
Le temps sidéral est la variable qui rend compte de cette rotation par rapport aux étoiles: il s'agit en réalité d'un angle que les astronomes comptent en heures et qui revient à 0 après avoir atteint 24, une rotation se faisant en 24 "heures sidérales". Ces heures n'ont rien d'autre en commun avec les heures de nos montres.
En un lieu donné on décompte le temps sidéral comme l'angle, sur l'équateur céleste, entre la direction du sud et celle d'un point particulier de cet équateur. Le choix des astronomes s'est porté sur le point vernal (ou point gamma), là où le Soleil franchit l'équateur céleste à l'instant de l'équinoxe de printemps. Ce jour là, l'ombre de la pointe du style d'un cadran solaire décrit une droite qui donne la direction est/ouest. Le point vernal se trouve aujourd'hui dans la constellation des Poissons à proximité de son étoile oméga qui est de faible grandeur: il n'y a pas d'"étoile vernale" comme il y a une "étoile polaire" . Ce point se décale irrégulièrement vers l'est à la cadence moyenne de 50.291 secondes de degré par an, soit 30 degrés en 2150 ans et un tour complet en 25.800 ans. Ce phénomène appelé précession des équinoxes fait évoluer les coordonnées des étoiles et avait été détecté dès l'Antiquité. Il est engendré, du fait de l'obliquité de l'axe des pôles sur le plan de l'écliptique, par l'attraction dissymétrique de la Lune et du Soleil sur le renflement équatorial de la Terre. Celle-ci réagit comme un gyroscope et la direction polaire décrit en 25.800 ans un cône dont l'axe est perpendiculaire au plan de l'écliptique.

Par définition, en 24 heures sidérales un point de la Terre fait un tour complet par rapport au point vernal et aux étoiles. Mais le tour n'est pas complet par rapport au Soleil puisque la Terre en un jour s'est déplacée sur son orbite: il manque une fraction égale à 1 / 365.25 de 360 degrés soit 0.985626 degré ce qui demande à la Terre un supplément de temps sidéral égal à ( 24 / 360 ) * 0.985626 = 0.065708 h soit 3m56.55s.
La Terre fait annuellement le tour du Soleil en tournant sur elle-même 365.25 fois mais elle ne tourne que 364.25 fois par rapport au point vernal ou aux étoiles. 24 heures de temps "équivalent" donc en temps sidéral à 24h3m56.55s. Le cumul de cet écart au fil des jours rend compte de la progression de la Terre sur son orbite. A Greenwich, en 2019, le temps sidéral à 0h UT est de 11h48m57s le 20 mars, 17h55m37s le 21 juin, 0h6m13s le 23 septembre et 6h1m3s le 22 décembre.
Voir à ce sujet l'article du présent blog en date du 21/01/2015 intitulé "le cadran (solaire) de temps sidéral".

rien de mystérieux dans le temps sidéral


La figure ci-dessous représente l'évolution de l'angle de l'écliptique sur l'horizon en fonction de la latitude du lieu et du temps sidéral.

l'angle de l'écliptique sur l'horizon en fonction de la latitude et du temps sidéral

L'influence de la latitude du lieu sur l'angle de l'écliptique apparait capitale. Aux faibles latitudes l'angle est bien plus important: entre la Belgique et la Mésopotamie l'écart est, en moyenne, du simple au double.
Ceci explique que les astronomes de l'Antiquité n'ont eu aucun problème pour identifier Mercure alors qu'elle reste quasiment invisible pour les habitants des pays nordiques. Sur le cercle polaire, à la latitude de 66.56°, l'écliptique est même confondu avec l'horizon une fois par jour, pour la valeur 18h du temps sidéral (270°).

L'autre paramètre, le temps sidéral, donne une allure sinusoïdale à la variation de l'angle avec le maximum pour 6h (90°) et le minimum pour 18h (270°). Pour un lieu de latitude 50° l'angle varie entre 17 degrés et 63 degrés. Pour une valeur de l'angle inférieure à 25 degrés l'observation visuelle devient très difficile.

La figure ci-dessous représente la sphère céleste pour un lieu et un instant donnés.

équateur en bleu, écliptique en noir

Les cercles de l'équateur et de l'écliptique sont arrimés entre eux au point gamma et à son symétrique. Ils font entre eux un angle de 23.438° dessiné en noir. Au cours de la journée le Soleil décrit l'arc en pointillés jaunes, l'ensemble tourne autour de l'axe polaire et la direction du pôle de l'écliptique décrit le cône dont la base est dessinée en gris. L'angle du temps sidéral est dessiné en gris dans le plan de l'équateur entre le sud et le point gamma et rappelé sur la base du cône. L'écliptique fait avec l'horizon l'angle dessiné en rouge et coupe l'horizon en deux points dont l'azimut A découle de la formule:

tan(A) = (cos(lat)cos(e) + sin(lat)sin(e)sin(TS)) / (sin(e)cos(TS)).

Pour la valeur 90° du temps sidéral les azimuts valent +/-90°, les points de contact sont les points cardinaux est et ouest et l'angle de l'écliptique est maximum à 90 - lat + e degrés, soit ici 67.16°. Pour la valeur 270° les points de contact sont aussi les points est et ouest et l'angle de l'écliptique est alors minimum à 90 - lat - e degrés, soit ici 20.28°. L'écart entre ces deux extrema est égal au double de l’excentricité et ne dépend pas de la latitude.
Le maximum et le minimum de l'azimut d'un point de contact valent arccos(-sin(e) / cos(lat)) et arccos(sin(e) / cos(lat)), soit ici 125.1° et 54.9°. Une équation du second degré donne la valeur du sinus du temps sidéral pour une certaine valeur de l'azimut. Pour les extrema, la racine double vaut:

sin(TS) = - 2 sin(lat)cos(lat) / (tan(e)(TA^2 + sin(lat)^2)),

où TA est la tangente de l'azimut maximum ou minimum, ce qui donne pour la latitude 46.28°: 333.04° (360-26.96) et 206.96° (180+26.96).


l'azimut en fonction du temps sidéral pour des valeurs de la latitude de 0° à 60°


 
trace quotidienne de l'écliptique d'heure en heure



Le tableau de la figure ci-dessous établi pour un lieu de latitude 46.3° et de longitude -7.4° donne pour chaque  jour de l'année 2019, par rapport au soleil, dessiné en jaune en position centrale, les positions des planètes sur l'écliptique en fonction de leurs coordonnées géocentriques. Elles sont présentées pour le 13 avril lors de l'élongation occidentale.
On note bien les six élongations de Mercure alternativement à l'est et à l'ouest.


l'angle de l'écliptique avec l'horizon au moment du lever du Soleil, en vert, et de son coucher, en rouge


La courbe en vert représente l'horizon au moment du lever du soleil le 13 avril, celle en rouge le même horizon au moment de son coucher.
Les segments de droite de chaque coté du soleil, à l'est et à l'ouest, donnent, de trois en trois jours, les amorces de l'horizon au moment du coucher et du lever du Soleil géométrique et indiquent donc les valeurs de l'angle I entre horizon et écliptique.
On constate les plus fortes valeurs, et les plus faibles, pour les périodes entourant les équinoxes car le temps sidéral prend alors des valeurs proches de 90° ou 270°.
Le 19 mars, avec un temps sidéral de 90° au lever, l'angle connait son maximum de 67.2° et le 21 mars, avec un temps sidéral de 270° au lever, l'angle est minimum à 20.3°.
Le 20 septembre le temps sidéral de 270° au coucher conduit à l'angle minimum de 20.3° et le 24 septembre le temps sidéral de 90° au lever aboutit à l'angle maximum de 67.2°.

Sur la partie droite de la figure on retrouve la valeur de l'angle I qui évolue au cours de l'année entre 20.3 et 67.2 degrés.
On constate que l'élongation de mi-avril est très défavorable, comme celle de mi-octobre et que les meilleures interviennent au soir de fin février et aux matins de début août et de fin novembre. L'élongation orientale de fin juin reste dans une moyenne.

La figure ci-dessous montre l'enveloppe des élongations de Mercure sur 24 années de 2000 à 2023.


les quatre belles élongations de Mercure en 2019 et l'enveloppe des élongations sur 24 années

Les élongations restent au fil des ans à l'intérieur d'une sorte de canal qui ondule légèrement et en sen inverse de l'évolution des valeurs de l'angle de l'écliptique. Il en résulte que les élongations les plus fortes se produisent lors des valeurs défavorables de cet angle! Cet esprit de contradiction, passager, est le fruit des évolutions de longue période des paramètres de l'orbite de Mercure...
En effet les paramètres propres de l'orbite entrent aussi en jeu pour caractériser les élongations.
Cette orbite présente une inclinaison, 7°, et une excentricité, 0.206, bien supérieures à celles des autres planètes.


la forte excentricité de l'orbite de Mercure

Les plus fortes élongations se produisent lorsque la quadrature intervient au moment du passage de la planète à l'aphélie et si la Terre se trouve alors proche de sa position au 5 avril ou au 13 août.
Le maximum de l'élongation atteint alors 27.8°. La quadrature au périhélie conduit à une valeur de 18° seulement lors du 18 février ou du 28 septembre.
Ces caractéristiques expliquent l'ondulation du canal contenant les élongations mis en évidence plus haut.

L'inclinaison de l'orbite a aussi une influence sur la qualité des élongations.


la forte inclinaison de l'orbite de Mercure

Le périhélie de l'orbite présentant une latitude héliocentrique positive, la planète passe moins de temps au dessus de l'écliptique qu'au dessous. Pendant une révolution de 88 jours, 38 jours seulement (44%) se passent avec une latitude positive.
Il découle de la forte inclinaison que la latitude géocentrique de Mercure, dépendante de la position relative des deux astres, Terre et Mercure, présente au cours de l'année quatre minima s'étageant de -5° à -2.1° et quatre maxima de 3.6° à 1.8°
Or, une latitude géocentrique positive de la planète favorise sensiblement son observation. Par contre une latitude de -5° la pénalise fortement.

l'enveloppe des variations de la latitude géocentrique de Mercure sur 24 années


Les mois de décembre à mai sont ainsi privilégiés pour une observation optimale. Suivant le critère de la latitude géocentrique, l'élongation de fin novembre 2019 est favorisée, les trois autres sont moyennes.

Ci-dessous le détail des six élongations de Mercure en 2019


fin FÉVRIER, un angle très important et une latitude positive: excellente visibilité


mi-AVRIL, faible angle et latitude négative: Mercure invisible



mi-JUIN, faible angle et latitude positive: belle apparition de Mercure et rapprochement avec Mars


mi-AOÛT, bon angle défavorisé par une latitude négative: Mercure bien visible


mi-OCTOBRE, faible angle, latitude fortement négative: Mercure invisible



fin NOVEMBRE, bon angle et forte latitude positive: la plus belle apparition de Mercure, encore au voisinage de Mars


Une bonne façon de voir Mercure en 2019, mais en négatif, est d'observer le Soleil avec un filtre adéquat, au cours du passage de la planète sur le disque du Soleil, dans l’après-midi du 11 novembre (voir à ce sujet l'article du présent blog en date du 29/01/2019 intitulé : "année 2019: passage de Mercure...").

La figure ci-dessous donne les informations concernant la visibilité de Mercure pour 2020.
En 2020 apparitions de Mercure les soirs de mi-févier et de fin mai, et les matins de fin juillet et de mi-novembre
Le 12 février au soir, Mercure culmine à presque 11° grâce à un angle écliptique record de 63°. Le 30 mai au soir la culmination s'établit à un peu plus de 11°.
Le 27 juillet au matin Mercure atteint 8° malgré une latitude négative. L'apparition du 10 novembre au matin reste la meilleure à 11.5° en raison d'un bon angle de 51° et d'une latitude élevée de 2.3°.
Les quadratures du 14 mars et du 23 septembre sont stériles.

Le tableau ci-dessus montre encore qu'une conjonction serrée de Jupiter et Saturne se produit à la fin du mois de décembre 2020. Elle fait suite à celle de fin mai 2000, au bout de 20,6 ans, ce qui correspond  donc à la révolution synodique des trois planètes. La révolution synodique des deux planètes Jupiter et Saturne commencée, elle, à la mi-juin 2000 s’achèvera début novembre 2020 et aura donc pris 20,4 ans...alors que sa moyenne s'établit à 19.9 années!


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