vendredi 22 septembre 2023

Le Panorama des étoiles


la tête de veau par "Night Star" (c 1985)

Représenter une demi sphère céleste complète sur un plan? Une gageure impossible!

La projection stéréographique de l'astrolabe de l'Antiquité et du Moyen Age déforme les constellations jusqu'à ne plus pouvoir les reconnaître. C'est principalement un outil de calcul réservé à des initiés. La carte classique d'aujourd'hui, dite "équidistante azimutale", centrée sur le pôle nord concentre dans son ovale rotatif les étoiles coté nord et dilate l'espacement de celles du sud. Elle reste malaisée à consulter car l'utilisateur comprend mal la façon de l'orienter et se trouve dérouté dans son maniement. Son avantage essentiel réside dans la facilité, relative, de son réglage pour l'adapter au ciel du jour mais la latitude du lieu d'observation est fixe.

Il existe des projections qui peuvent présenter plus ou moins fidèlement l'ensemble de la moitié du ciel qui se trouve devant l'observateur. La Société Astronomique de France publie ainsi chaque mois dans sa revue mensuelle L'astronomie, "l'aspect du ciel à la latitude de Paris le 1er du mois vers 21h15 ou le 16 vers 20h15", pour les horizons sud et nord. Mais ces instants horaires donnés sans explication sont curieusement uniformes tout au long de l'année sans égard pour la variation de la déclinaison du Soleil. La longitude du lieu retenu n'est pas précisée et son influence est passée sous silence alors que l'écart de l'heure solaire entre Brest 4.49° O et Strasbourg 7.75° E atteint presque 50 minutes, deux codes non identifiés affectent la couleur et le diamètre des étoiles. L'espace libre loge la légende d'autres figures...

On peut mieux faire pour une présentation du ciel étoilé originale et remarquablement parlante!


Quelques prolégomènes
 

le jour et l'heure

"Hommes de peu de foi, ne trouvez-vous pas merveilleux que la Terre tourne sur elle-même en vingt-quatre heures tout juste?" cité in "Le Calendrier", PUF, par l'astronome français et membre de l'Union rationaliste, Paul Couderc (1899/1981).

Les Chaldéens qui vivaient au IX ème siècle av. J.C. dans le sud de la Mésopotamie divisaient le jour en soixante parties, peut-être parce que ce nombre est le PPCM de 2, 3, 4 et 5. Chaque partie du jour était elle-même divisée en soixantièmes. Plus tard les Babyloniens ont utilisé une division du jour en douze parties, plus simple d'emploi au seul prix de l'abandon de la qualité de multiple de 5. Le nombre 12 revêtirait d'ailleurs un caractère "sacré" (?) puisqu'en outre, en moyenne deux fois sur trois, l'année compte 12 lunaisons.

La numération à base soixante demeure en vigueur aujourd'hui pour les minutes et les secondes: elle a traversé les siècles bien qu'elle ne soit pas adaptée au calcul de la durée entre deux instants. Elle s'est naturellement propagée à la mesure des angles (aussi en raison des "presque" 360 jours de l'année...), ainsi qu'à la mesure des distances en mer et dans les airs, le mille marin étant la longueur de l'arc de l'équateur terrestre sous-tendu par un angle égal à une minute d'arc. Cette unité de longueur, internationalement utilisée, découle de la définition du mètre proposée par les savants des Lumières (un mille mesure 10'000'000 / (90*60) = 1851.85 m.).

Les Hébreux, après leur captivité à Babylone au VIII ème siècle av. J.C., reprirent cette division du jour en douze parties, mais en l'appliquant à la journée et à la nuit: le jour compte alors 24 "heures". Les Grecs puis les Romains conservèrent cet usage devenu plus tard quasiment universel.

Mais il y a eu une certaine variété pour l'origine du décompte: midi, minuit, lever du soleil, coucher du Soleil et même division de la nuit (et de la journée) en douze heures de durée "temporaire"!

Les horloges astronomiques médiévales dérivées de l'astrolabe de l'Antiquité comportent un cadran de deux fois 12 heures avec une seule aiguille faisant un tour par jour car il s'agissait de représenter le modèle d'un système solaire géo-centré. En Italie, dans la province du Latium, les horloges équipant les édifices publics d'avant le XIX ème siècle présentent un cadran de 6 heures avec une seule aiguille faisant quatre tours par jour: il s'agit là d'une numération à base 6 ! Les cadrans modernes ont un cadran mixte de 12 heures et de 60 minutes avec deux aiguilles, celle des heures faisant deux tours par jour et celle des minutes tournant 12 fois plus vite. Le lecteur est censé savoir faire le partage entre les deux moitiés du jour: c'est une numération à base 12. Une fois sur cinq les graduations coïncident ce qui conforte la numération à base soixante pour les minutes et confirme la fécondité du nombre 12. Les anglo-saxons retiennent une numération des heures en 12 valeurs avant ou après midi au lieu de 24 valeurs à partir de 0h...vestige du cadran médiéval ?

 

primatiale Saint Jean à Lyon

Le Quirinal, résidence du Président de la République Italienne

clocher à Tolentino

60 = 12 * 5

Les astronomes d'aujourd'hui utilisent une échelle universelle de date et d'heure basée sur "l'ère julienne" et retiennent une division décimale du jour. Cette échelle, qui n'a pas de rapport direct avec Jules César, a été élaborée par le chronologiste français huguenot Joseph Scaliger (1540/1609) en 1583, un an après la réforme du calendrier par le pape Grégoire XIII (1502/1585), pape à la conduite un peu hors normes et maître du temps...En prenant en compte les cycles de la Lune, de la semaine et de variables utilisées pour le comput ecclésiastique de la date de Pâques (toujours en vigueur!), il en a fixé le début au lundi 1er janvier de l'année bissextile 4713 av. J.C. à midi (il n'y a pas d'année zéro). Le jour julien commence ainsi à midi, au méridien de Greenwich.

L'instant du 1er août 2023 à 14h TU est désigné par le nombre 2'460'158.08333...Les astronomes ne se laissent pas rebuter par les nombres astronomiques!

Les Révolutionnaires Français ont voulu, en 1792, soumettre le calendrier à un ordre républicain et décimal et s'ils conservèrent douze mois - Lune oblige - mais de trente jours chacun, ils les divisèrent en trois décades. Le jour comprenait dix heures de cent minutes, soit 1'000 minutes au lieu de 1440. A 5 heures il était midi! Ce calendrier ne parvint pas à s'imposer et ne résista pas à l'Empire et au retour du pouvoir ecclésial: le 11 nivôse an XIV redevint le 1er janvier 1806. Le grade pour la mesure des angles, 400 grades pour 360 degrés, a mieux résisté en France mais sans s'imposer car non multiple de trois.

rarissime cadran solaire républicain (musée de Boston), source Sky & Telescope

le temps sidéral

D'un jour au jour suivant, les étoiles, pour faire un tour en un an, se décalent dans le ciel d'une fraction de degré très proche de l'unité puisque l'année dure 365.2422 jours: 360 / 365.2422 = 0.985°. Chaque nuit elles avancent donc vers l'ouest dans le ciel visible: elles se lèvent et se couchent environ quatre minutes plus tôt. En un mois elles se décalent de 30° et en quinze jours de 15°.

La Terre tourne sur elle-même en 24 heures soit 15° par heure.

Il en résulte que 15 jours après avoir contemplé le ciel nocturne, un observateur peut voir les étoiles presqu'à la même place s'il s'y prend une heure plus tôt: les étoiles se seront décalées d'à peu près 15° mais la rotation incomplète de la Terre sur elle-même aura compensé ce décalage. Une carte du ciel établie pour le 1er du mois à l'heure H est aussi valable pour le 16 du mois à l'heure H-1!

C'est un peu la magie des 12 lunaisons et des 24 heures: 24 demi-mois correspondent à 24 heures.

Pendant qu'il regarde les étoiles, l'observateur humain se déplace dans l'espace puisqu'il est embarqué sur un vaisseau spatial qui, non seulement tourne sur lui-même autour de la direction du pôle nord en 24 heures, mais aussi se déplace sur une orbite autour d'un point "fixe", le Soleil, dans un plan qualifié d'écliptique qui fait un angle de 23.438° avec cette direction. Cette orbite coupe le plan de l'équateur céleste perpendiculaire à la direction du pôle en deux points correspondant aux équinoxes, là où nuit et journée ont une durée égale. Celui du printemps, appelé point vernal sert d'origine pour les coordonnées célestes. On le désigne aussi par point gamma, cette lettre grecque étant le symbole de la constellation du bélier qui l'hébergeait  du temps de l'astronome égyptien Claude Ptolémée (100/168).

Les astronomes ont choisi pour caractériser, à un instant donné et en un lieu donné, la position de la Terre sur son orbite, la valeur de l'angle entre le méridien Sud et le point vernal, c'est à dire l'angle horaire de ce point. Au cours d'un jour cet angle passe de 0° à 360°: il correspond à la marche quotidienne d'environ 0.985° de la Terre. Le point vernal étant fixe et la Terre progressant, il atteint la valeur de 360° un peu avant qu'il se soit écoulé 24 heures sur la Terre. Chaque jour, à la même heure, il progresse de 0.985°. Mais il est mesuré en heures et non pas en degrés, comme les ascensions droites, et a malencontreusement reçu en France le nom de "temps sidéral", l'adjectif sidéral rappelant qu'il s'agit d'une notion astrale. Il vaudrait mieux parler comme les anglo-saxons d'angle horaire sidéral.

temps sidéral

 En un an la Terre fait 365.2422 tours sur elle-même et aussi un tour autour du Soleil. Par rapport au point vernal elle fait donc un tour de plus sur elle-même, soit 366.2522 tours . Ce tour supplémentaire est fractionné en autant de jours de l'année comme indiqué plus haut. Le temps nécessaire chaque jour pour que le temps sidéral passe de 0 à 360° est donc en moyenne égal à 366.2422 / 365.2422 soit 0.99727 jour, d'où un écart de 0.00273 jour, soit 3 minutes et 56.555 secondes par jour. Le "jour sidéral", mieux dénommé la "révolution sidérale", dure donc 23 heures, 56 minutes et 4.09 secondes de temps.

C'est par abus scriptural que l'on peut lire: "24 heures sidérales équivalent à 23h 56m 4.09s".

Voir l'article du présent blog en date du21/01/2015 intitulé "le cadran de temps sidéral"

A 15 jours d'intervalle, au même instant, le temps sidéral se trouve augmenté en moyenne de 15 fois 3minutes et 55.91secondes soit 59 minutes, c'est à dire, à très peu près, une heure. En quinze jours moins une heure, la différence de temps sidéral n'est plus que d'une minute et, à un quart de degré près, les étoiles sont à la même place dans le ciel vu depuis la Terre.

 

la projection des étoiles

Le problème quoique classique n'est pas simple: il s'agit de réduire un quart de sphère en un demi-disque!

En 1701 Philippe de La Hire (1640/1718), mathématicien et astronome français, a imaginé pour la conception d'un astrolabe universel, c'est à dire utilisable à toutes les latitudes, une projection d'une demi-sphère sur un plan méridien qui remédie sensiblement aux défauts de ceux de ses prédécesseurs. Dans cette projection les méridiens et les parallèles célestes deviennent des arcs d'ellipse. Sur le contour de l'astrolabe, les étoiles se trouvent légèrement relevées mais sans trop altérer la forme reconnaissable des constellations car cette projection est presque "équivalente".

Elle permet de représenter une moitié du ciel visible centrée vers une direction quelconque. Les panoramas en demi-disque obtenus montrent l'ensemble des constellations de la moitié du ciel qui fait face à l'observateur, sur 180°, de l'horizon au zénith: c'est presque une photographie grand angle!

En l'espèce cette projection s'avère un meilleur compromis que la projection azimutale équivalente de Lambert qui respecte moins les azimuts. Johan Heinrich Lambert (1728/1777), mathématicien et philosophe né à Mulhouse, a notamment laissé son nom à deux systèmes de projection cartographique encore utilisés de nos jours.

voir l'article du présent blog en date du 27/01/2023 intitulé "une mystérieuse carte du ciel"

 

les panoramas mensuels valables pour le 1er du mois et 16 du mois

S'agissant de représenter le ciel étoilé, l'instant retenu pour établir les panoramas est l'heure à laquelle, le 16 de chaque mois, les principales étoiles deviennent visibles, le Soleil se trouvant alors à environ 12 ou 13 degrés sous l'horizon. Cette heure est éminemment variable. L'heure d'été est prise en compte.

On peut présenter deux versions des panoramas mensuels. L'une mentionne l'équateur céleste en pointillé bleu, l'écliptique en rouge, la voie lactée en pointillé noir gras et les étoiles, sans les astres dont la position varie dans le temps: différente chaque mois, elle est permanente d'une année à la suivante.

L'autre version mentionne en plus, pour le moment précisé, les positions du Soleil, de la Lune, des planètes et des nœuds de l'orbite lunaire qui déterminent les éclipses et qui avancent de 18.63 jours par an et les dates de passage du Soleil à ces nœuds. Figurent aussi l'image fidèle de la Lune, son orbite en pointillé gris fin et sa course dans le ciel en pointillé gris gras. Les heures de lever et de coucher de la Lune pour le 1er du mois et pour le 16 sont indiquées avec mention de sa fraction éclairée ce qui permet de savoir si elle gêne les observations. Les dates des pleines et nouvelles lunes du mois sont précisées ainsi qu'éventuellement, celles des éclipses et leur visibilité. Quelques renseignements d'ordre astronomique figurent comme, par exemple, l'heure au Soleil pour permettre de caler une carte céleste du commerce. Cette version doit être recalculée pour chaque mois.

SUD

NORD

EST

OUEST

Ne pas oublier que le lever de la Lune en pleine nuit , s'il éteint les étoiles, est un spectacle saisissant:

" Dans le ciel, les étoiles se levaient tour à tour parmi les coupoles ou les aiguilles des montagnes. La Lune n'était point d'abord à l'horizon, mais son aube s'épanouit par degrés devant elle, de même que ces gloires argentées dont les peintres du XIVème siècle entouraient la tête de la Vierge: elle parut enfin...sur la crête dentelée du Fourquela..." Chateaubriand (1768/18448), Mémoires d'outre tombe (P. IV, L. 2, ch. 14).

Dans l'ultime paragraphe de cette œuvre rédigé à Paris au mois de novembre 1841 l'auteur écrit:

" Il est 6 h du matin. J'aperçois la Lune pâle et élargie; elle s'abaisse sur la flèche des Invalides à peine révélée par le premier rayon doré de l'Orient..."

Une telle description du ciel, habituellement fidèle de la part de l'auteur, a conduit le Directeur de l'Observatoire de Paris, André Danjon (1890/1967), "chateaubriandiste" fervent, à subodorer une mauvaise lecture du manuscrit par le copiste car elle se révèle incompatible avec la date du 16 novembre 1841 comme indiqué dans les éditions habituelles. Tous calculs faits, André Danjon penche pour la véritable date du 1er novembre, au petit matin, peu avant le coucher de la Lune, la mention "er" ayant été prise pour un "6" ? (Maurice Levaillant, Édition du centenaire, 1948)...

Chateaubriand par Anne Louis Girodet


l'heure légale

Au temps des cadrans solaires chaque lieu avait son heure et il était midi quand le Soleil atteignait sa culmination, au moment où l'ombre portée du "style" était la plus courte. Avec l'accélération des moyens de transport il a fallu harmoniser l'heure d'un certain territoire. On a finalement partagé le globe terrestre en 24 fuseaux horaires de 15 degrés chacun et l'heure du milieu du fuseau s'est imposée, avec des aménagements, à tout lieu compris dans ce fuseau.

Les étoiles sont restées bien entendu étrangères à ces conventions...Si on veut donc ajuster une carte céleste "équidistante azimutale" du commerce à l'aspect réel du ciel pour un instant donné, il faut tenir compte de l'écart de longitude entre le lieu d'observation et le centre du fuseau légal. L'heure légale européenne est celle du fuseau +1h par rapport au temps universel de Greenwich, et celle du fuseau +2h en été. Le méridien central du fuseau +1h passe un peu à l'ouest de Vienne (16° est). Sa limite occidentale (7.5° est) passe sensiblement par Bâle, Berne et Evolène: géographiquement la Suisse Romande appartient au fuseau zéro.

A Sion ou Arbaz de longitude 7.38 est, la correction du temps des étoiles par rapport au temps légal s'établit à 15° - 7.38° soit 7.62° ou 30 minutes et 28 secondes, et 1 heure 30 minutes et 28 secondes en été.

En été, quand il est midi à Sion, le Soleil est plein sud à Kiev (30° 31' est) et les valaisans doivent encore attendre une heure et demi pour voir le Soleil à son plus haut...

fuseaux 0, 1, 2
 

Deux autres ajustements améliorent la précision de ce genre de carte céleste . Le premier, très simple, tient à la place de l'année en cours dans le cycle quadriennal de la bissextilité (0.25 jour par an).

Le second consiste en la prise en compte de la variation de la position du pôle nord parmi les étoiles. En effet sa direction. inclinée de 23.438° sur l'écliptique, subit une rotation en 25'800 ans autour de celle du pôle de l'écliptique. Ce phénomène est dû aux forces gravitationnelles exercées par la Lune et le Soleil sur le bourrelet équatorial de la Terre, lui-même généré par sa rotation. C'est la précession des équinoxes: le point vernal se présente chaque année en avance car il se déplace sur l'écliptique d'un angle 50.3 secondes d'arc par an. Depuis le début de l'astronomie il a parcouru un peu moins de 30°, soit environ un signe du zodiaque.

Ce phénomène modifie les deux coordonnées équatoriales, ascension droite et déclinaison, de tous les astres et rend leur calcul précis extrêmement complexe. Certains éditeurs de cartes célestes (Hallwag pour la carte Sirius) fournissent des tabelles - assez absconses - pour calculer une fraction de jour à prendre en compte, mais avec quelle fiabilité?