mardi 17 avril 2018

l'avion, une machine à remonter le temps...

L'heure mondialisée est née à Paris grâce à Gustave Eiffel (1832/1923).


A sa naissance à Dijon, Gustave porte le nom de "Bonickhausen dit Eiffel" qui est celui de sa famille depuis qu'un ancêtre originaire de Marmagen, village de la région allemande de l'Eifel, frontalière avec la Belgique, a émigré en France au XVIII siècle. Son nom sera raccourci en "Eiffel" par jugement d'un tribunal de Dijon en 1880.
Cet ingénieur de Centrale connaît un destin extraordinaire d'entrepreneur en construisant dans le monde entier des ouvrages d'art utilisant la nouvelle technique des constructions métalliques. Son chef d’œuvre est la tour Eiffel érigée pour l'Exposition Universelle de Paris de 1889 célébrant le centenaire de la Révolution Française. 
Cette construction gigantesque conçue comme provisoire est un exploit du XIX siècle. La durée de la concession est de 20ans, elle expire donc le 31 décembre 1909.
En 1893 le scandale du Canal de Panama éclabousse, à tort, Eiffel alors à l'apogée de sa carrière d'ingénieur et d'entrepreneur.
Dès 1898 la situation élevée de l'ouvrage intéresse le futur général Ferrié (1868/1932) alors capitaine du génie, spécialiste des techniques naissantes de la télégraphie sans fil et fils d'un confrère et ami d'Eiffel. En 1904 Eiffel accepte de financer le "poste de télégraphie militaire" de la tour. Six câbles de 425m de long et de 5mm de diamètre sont installés depuis le sommet jusqu'à des arbres du Champ de Mars : la portée de ces antennes est de 400 km, puis elle atteint 5.000 km en 1907.

les antennes de 1904

En 1908 le Bureau des Longitudes et l'Observatoire de Paris, sous l'impulsion de son président Benjamin Baillaud (1848/1934), voyant dans ces expériences une solution précise et radicale au problème obsédant du calcul des longitudes, commencent à envoyer au monde entier depuis la tour un signal horaire, à minuit, heure de Paris, avec une précision d'un centième de seconde.

Devant tant de perspectives scientifiques, le 1er janvier 1910, la concession est reconduite pour 20 ans par la Ville de Paris.
Pendant la première guerre mondiale la tour a rendu d'éminents services à l'Armée, notamment en interceptant un mois après la déclaration de guerre allemande un message ennemi qui permettra  au général Galliéni (1849/1916) de déclencher le 8 septembre 1914, au bon moment, l'épopée des taxis de la Marne qui a permis de contenir l'avancée allemande.

Benjamin Baillaud est le président-fondateur en 1912 du Bureau International de l'Heure au sein de l'Observatoire de Paris. Aujourd'hui scindé en deux entités, le BIH est chargé  d'ajouter la seconde intercalaire éventuelle permettant d'aligner temps atomique et rotation de la terre.
Benjamin Baillaud fonde également l'Union Astronomique Internationale en 1919 à Paris. Le général Ferrié est président de la Commission Internationale des Longitudes.
La conférence de Washington du 22 octobre 1884 avait décidé que le méridien d'origine international serait celui de Greenwich et non pas celui de Paris. Eiffel et Ferrié ont permis à la France d'établir pour des années sa suprématie en matière d'astronomie et de trouver ainsi une sorte de revanche...

le temps coordonné
solstice d'été 3h50 UTC, lever de soleil à Greenwich et Madagascar (6h50)
solstice d'été 20h14 UTC, coucher de soleil à Greenwich et à Rio de Janeiro (17h14)
solstice d'hiver 8h4 UTC, lever de soleil à Greenwich et à Rio de Janeiro (5h4)
solstice d'hiver 15h49 UTC, coucher de soleil à Greenwich et à Madagascar (18h49)

Un voyage, bien choisi, en avion, permet de remonter le temps mais, bien sûr, provisoirement, car le temps gagné ne se conserve guère...

Il suffit par exemple de relier Tokyo à Londres en passant par le cercle polaire. Les coordonnées de Tokyo sont: latitude 36°, longitude -140°, celles de Londres: latitude 51°, longitude 0°. L'écart en longitude est de 140° soit 9h20m. Choisissons le jour du solstice d'été le 21 juin.

vol Tokyo-Londres

On peut emprunter la loxodromie, sorte d'hélice sphérique, qui se parcourt ici au cap constant de 81.5°, la distance est alors de 11300 km. Son trajet, dessiné en gris sur la figure ci-dessus, survole Almaty la grande ville du Kazakhstan (voir à ce sujet l'article du présent blog en date du 29/03/2016 intitulé "de la boussole au logarithme: la loxodromie").
De nos jours on suit le plus court trajet sur la sphère qui est le grand cercle passant par les points de départ et d'arrivée, c'est l'orthodromie (voir à ce sujet l'article du présent blog en date du 23/04/2016 intitulé "un tour en orthodromie"). Le trajet dessiné en rouge Tokyo-Londres se réduit alors à 9.590 km, soit un gain de temps de deux heures: 12 heures au lieu de 14 à 800 km/h.
Précision utile: ici on ne s'occupe pas de géopolitique...
Les coordonnées du point du vol de plus haute latitude, le vertex, s'établissent à  70.9° de latitude et -64.6° de longitude. Il est donc au delà du cercle polaire, dans la mer de Kara, à l'est de la Nouvelle Zemble (Nouvelle Terre en russe) où ont eu lieu les tirs des essais nucléaires de l'Union Soviétique.
Le trajet survole la ville de Norilsk, puis le port de Mourmansk.
Norilsk est la ville la plus septentrionale du globe, elle compte 170.000 habitants. Située à 69.35° de latitude, la nuit polaire s'installe le 25 novembre jusqu'au 18 janvier, la température moyenne est alors de -25°, mais à partir du 24 mai le soleil ne se couche plus avant le 20 juillet et la température moyenne atteint 14°. La ville connait neuf mois de neige par an.
Ce sont les richesses minières considérables du sous-sol, en nickel et palladium, qui expliquent cette implantation.
Elle a été fondée en 1935 comme camp de travail forcé sous le nom de Norillag et a été gérée par le Goulag (Glavnoïe OUpravlenïe LAGereï, Direction Générale des Camps) jusqu'en 1956.
On estime que 500.000 personnes y ont travaillé et que 100.000 y ont trouvé la mort.


Pour la commodité on ne parle ici que d'heure solaire, c'est à dire de l'heure qui se déduit du fait qu’en un lieu donné le soleil passe plein sud à 12h.

L'avion décolle de Tokyo à 17h34 heure locale, il est 8h14 UTC à Londres. Au décollage l'azimut du soleil est de 106°, sa hauteur de 19°. Le pilote automatique de l'avion, tous calculs faits, fixe le cap de départ au nord-nord-ouest à 24°. Au cours du trajet ce cap augmentera régulièrement, il sera de 90° au vertex et de 149° à l'arrivée à Londres. A tout instant le pilote automatique, à partir de la latitude notée "lat" de l'avion donnée par GPS, connait le cap à suivre par la formule sin(cap) = cos(70.9) / cos(lat).
Pendant tout le voyage il va y avoir une course entre la nuit qui gagne l'Asie puis l'Europe et l'avion qui fuit devant elle.

D'abord tout est normal: le soleil se rapproche de l'horizon, son azimut augmente. Après 1 heure et 40 minutes de vol, à 19h14, heure lue sur la montre des passagers, le soleil se couche à Tokyo. Au sol, aux environs du nouveau cosmodrome de Vostotchny, il est 18h45.

la nuit commence à l'aéroport de départ, dans l'avion la soirée va être longue

Après 3h20m de vol, à 20h54, la hauteur du soleil qui est de 6.8° cesse de diminuer, le soleil va entamer une lente et légère remontée pendant cinq heures. Il est 19h43 au sol. La latitude de l'avion est de 57°.

le soleil refuse de se coucher

En approchant 66° de latitude il va se passer un phénomène curieux: l'heure au sol va reculer.

l'avion franchit le cercle limite: il commence à remonter le temps!

En effet la composante est/ouest de la vitesse notée V de l'avion est égale à: V * sin(cap), ce qui s'écrit, compte tenu de la formule donnant le cap en fonction de la latitude: V * cos(70.9) / cos(lat). Pour la latitude lat la longueur du parallèle est égale en kilomètres à: 2pi * 6378 * cos(lat). La longueur de l'arc pour une heure est donc de 2pi * 6378 * cos(lat) / 24.
Il existe ainsi une valeur de la latitude pour laquelle, en une heure, l'avion franchit un fuseau horaire. Au delà, il franchira un fuseau horaire en moins d'une heure!
L'équation est la suivante: cos^2(lat) = V * cos(70.9) * 24 / (2pi * 6378). Pour une vitesse V de 800 km/h cette latitude critique est égale à 66.65°, valeur qui se trouve être très proche de celle du cercle polaire 66.56°.
Ainsi tant que l'avion reste à l'intérieur du cercle de latitude 66.65°, l'heure au sol recule, l'avion allant, en quelque sorte, plus vite que le soleil...
Il entre dans ce cercle à 22h48, heure de l'avion, après 5h14m de vol et 4.190 km parcourus, il est 20h14 au sol.
Une heure et 12 minutes plus tard, il est minuit dans l'avion et à Tokyo, et 20h1 au sol. L'avion est remonté dans le temps de 13 minutes.

l'avion est au vertex, le cap est de 90°, la latitude va diminuer


L'avion passe au vertex à 0h44, heure de l'avion (le 22 juin) après 7h10m de vol et 5730 km parcourus, le cap est plein ouest, la latitude va décroître, il est 19h42 au sol. C'est le maximum d'intensité dans le recul de l'heure: la courbe représentant l'heure au sol connait son point d'inflexion. Il en est de même pour le cap et la longitude.

l'avion sort du cercle critique, l'heure au sol va ré-augmenter

L'avion ressort du cercle limite à 2h38, heure de l'avion, après 9h4m de vol et 7.270 km parcourus, il est 19h10 au sol! L'avion a passé 1h54m au delà du cercle de latitude 66.65° et l'heure au sol est passée de 20h14 à 19h10, soit un recul d'une heure et 4 minutes!
Pendant ce trajet à l'intérieur du cercle limite, l'avion a atteint Norilsk à 23h35, heure de l'avion, au kilomètre 4820. Il est alors 20h8 à Norilsk.
Puis il a atteint Mourmansk à 2h18, heure de l'avion, au kilomètre 6990. Il est alors 19h11 à Mourmansk.
Le passager embarqué à l'escale de Norilsk à 20h8 débarque à Mourmansk à 19h11: il arrive 57 minutes avant d'être parti...
Ceci parce que son avion a volé bien plus vite que le soleil. La distance Norilsk/Mourmansk de 2140 km a été parcourue en 2h42m alors que l'écart de longitude entre les deux villes de 54.8° demande  3h39m au soleil à raison de 15° par heure, soit 57 minutes de plus!
L'arrivée à Londres est prévue à 20h13. Un passager pour Londres embarqué à Norilsk à 20h8 arrivera donc à destination 5 minutes après son départ, ce qui est fort peu pour couvrir 4.760 km!

paramètres du vol Tokyo-Londres
Les courbes représentant la géométrie du vol, soit la longitude, la latitude, le cap et l'heure locale présentent une symétrie par rapport au vertex. Celles prenant en compte le mouvement du soleil, soit son azimut et sa hauteur, subissent une déformation en raison de sa course.
 
Mais toute cette remontée dans le temps sera rattrapée dans la suite du voyage qui se termine par un atterrissage au moment du coucher du soleil à Londres à 20h13 UTC. Il est 5h33 du 22 juin à Tokyo. Le vol a duré 12 heures, la journée du 21 juin n'est pas terminée pour les voyageurs japonais, il leur faut attendre encore 3h47m avant de passer au 22 juin. Le décalage horaire de 5h33 + 3h47m = 9h20m correspond bien à l'écart de longitude de 140°.

atterrissage au coucher du soleil, la nuit a rattrapé l'avion


Un calcul simple montre qu'un avion suivant un cap à l'ouest à la latitude de 61.4° et à la vitesse de 800 km/h vole à la vitesse du soleil et que l'heure au sol survolé est alors constante.
Plusieurs villes d'Europe du nord connaissent ce phénomène: Saint-Pétersbourg, Helsinki, Stockholm, Oslo, Reykjavík...On peut aller "instantanément" d'une ville à une autre située plus à l'ouest!

A l'équateur il faudrait voler deux fois plus vite.
En effet le périmètre équatorial de la terre est de 40.075 km (un peu plus que le périmètre le long d'un méridien retenu par les Révolutionnaires pour la définition du mètre) et la rotation sidérale terrestre de 23h56m4.3s et il vient donc : 40.075 / 23.934 = 1.674.4 km/h.

Les sites de lancement de satellites dans l'espace sont aussi proches que possible de l'équateur pour pouvoir profiter d'autant plus de l'effet de fronde dû à la rotation terrestre.

Et, puisque c'est la terre qui tourne et non pas le soleil, les lancements se font vers l'est.



Kourou latitude 5.23° nord


samedi 7 avril 2018

un soleil capricieux


C'est l'une des milliards d'étoiles que compte notre Voie Lactée, qui n'est elle même que l'une des milliards de galaxies de l'univers. Son diamètre vaut cent fois celui de la terre et sa masse 330.000 fois la sienne. La masse de la planète bleue représente plus de mille milliards de fois celle de toute l'humanité et toi, lecteur, tu es à peine plus que le dixième du milliardième de cette humanité...

Nous sommes les "Enfants du Soleil" selon l'astronome André Brahic (1942/2016) et il nous aura fallu plus de quatre milliards d'années pour sortir de l'enfance. Aujourd'hui, si le soleil laisse notre planète subir les humeurs de ses habitants, il en gouverne encore l'orbite selon des lois (quasiment!) immuables. Le long de cette trajectoire elliptique décrite en 365.2422 jours à vitesse non uniforme, la terre tourne sur elle-même autour d'un axe polaire incliné de 23.44° sur l'orbite, cet axe étant lui-même animé d’une lente rotation complète en 26.000 ans. Vu depuis la terre tout cela fait quelque fois apparaitre un comportement capricieux attribué au soleil.

Johannes Kepler (1571/1630) a découvert en 1609, après de nombreuses années de calculs difficiles, que la trajectoire d'une planète est une ellipse dont le soleil est un foyer et qu'elle parcourt son orbite de telle façon que la surface balayée par le rayon qui la joint au soleil soit proportionnelle au temps (surfaces égales pendant des temps égaux).


C'est la loi des aires induite par la gravitation universelle, phénomène encore mystérieux. Voir à ce sujet l'article du présent blog intitulé "la découverte de l'organisation du système solaire: le génie de Kepler" en date du 01/05/2014.


la loi des aires en quatre figures

En haut à gauche, en rouge, la surface balayée par la planète pendant un temps donné "t" depuis le périhélie. Soit a le grand axe de l'orbite, b son petit axe, e son excentricité (e = rac(1 - b^2 / a^2)). La distance du soleil au centre de l'orbite vaut a * e.
Le point T ' va donner la solution du calcul permettant de relier la position de la planète, c'est à dire la valeur de l'angle en rouge ayant pour sommet le soleil, au temps t (cet angle V a été désigné par Kepler par le terme "anomalie" qui veut dire "irrégulier").
En effet, la surface en rouge est proportionnelle à la surface en jaune de la figure du haut à droite, leur rapport étant égal à celui de la surface de l'ellipse à celle du cercle, soit à celui du petit axe au grand axe: b / a.
La figure du bas à gauche montre que cette surface en jaune est facile à calculer: c'est la différence entre le secteur circulaire périhélie / T 'et le triangle en bleu. L'angle du secteur a été appelé "anomalie excentrique", il est désigné ici par "E".

On a  donc:
surface jaune = (pi * a^2) E / (2pi) - (a * e) . (a * sin(E)) / 2 = (a^2 / 2)(E - e * sin(E)) et surface rouge = (a * b)(E - e * sin(E)) / 2.
La surface complète de l'orbite vaut pi * a * b. Appelons "A" le temps mis par la planète pour balayer toute son orbite. Pendant le temps t la planète a donc parcouru une fraction de sa révolution égale à : (t / A) = (E - e * sin(E)) / (2pi).
On a donc l'équation E - e * sin(E) = t * (2pi / A). C'est l'équation de Kepler.
Elle est transcendante puisque figurent en même temps l'angle E et son sinus. C'est la première équation de ce type apparue historiquement dans les mathématiques.
La quantité t * (2pi / A) est l'angle qui serait parcouru par la planète pendant le temps t si elle se mouvait régulièrement, on l'appelle anomalie moyenne (ce qui constitue un oxymore!). On la désigne couramment par "M".
E = M + e * sin(E)
Ayant ainsi mis en équation la loi des aires en exprimant l'anomalie excentrique E en fonction du temps, il faut encore relier cette anomalie excentrique à l'anomalie (vraie), qui est le but du calcul.
La figure du bas à droite montre que ce n'est pas un exercice de géométrie difficile en partant des coordonnées de la terre dans le repère xOy. On obtient les relations suivantes:
cos(V) = (cos(E) - e)/(1 - e * cosE),    sin(V) = (b/a) * sin(E)/(1- e * cos(E)) et    tan(V) = sin(E) * rac(1 - e^2) / (cos(E) - e).
Au passage, on obtient la longueur du rayon vecteur soleil-terre: r = a * (1-cos(E)).
Une cuisine trigonométrique donne la formule classique reliant les tangentes des angles-moitié:
tan(V / 2) = rac((1 + e) / (1 - 2)) * tan(E / 2). Cette formule était importante car elle permet d'obtenir un développement en série de V en fonction de E.

Le problème considérable qui  reste est de résoudre l'équation de Kepler dont la solution ne peut pas être trouvée directement. On ne peut donc que procéder par itérations successives.
Cependant, Robert Bryant, astronome anglais, indique dans le numéro de novembre 1886 de la revue mensuelle de la Royal Astronomical Society une méthode expéditive basée sur le théorème d'inversion de Lagrange. La référence de cet article a été fournie par Monsieur Jean Meeus et son collègue Edwin Goffin.

Joseph Louis Lagrange (1736/1813) a été l'un des plus grands mathématiciens du siècle des Lumières. Il est né, italien, à Turin, ville qu'il a quittée pour Berlin en 1766, à l'invitation du roi de Prusse Frédéric II (1712/1786). En 1787, après le décès de ce protecteur des Sciences, il a rejoint Paris où il participa, notamment, à l'élaboration du système métrique avec Lavoisier (1743/guillotiné en 1794). Lagrange a été naturalisé français et est inhumé au Panthéon.

Le théorème d'inversion a été énoncé à l'Académie Royale des Sciences et Belles Lettres de Berlin en 1770.
Soit une équation implicite du type y = x + a * f(y) où f(y) est une fonction quelconque et "a" une constante suffisamment petite (il semble que Lagrange n'ait pas reconnu cette précision nécessaire à la convergence de son calcul).
Soit une autre fonction quelconque g(x).
Le théorème donne alors le développement en série de g(y) en fonction de x:
le premier terme est g(x) et le terme courant d'ordre k est le produit de (a^k / k!) par la dérivée d'ordre k-1 de ( f(x)^k . g'(x) ).
Le second terme est donc a * d(f(x) * g'(x)) et le troisième (a^2 / 2) * d( f(x)^2 * g'(x) ) / dx.

Ce théorème s'applique parfaitement à l'équation de Kepler en faisant y = E, x = M, a = e, f(y) = sin(y). André Danjon (1890/1967) indique cependant que Laplace a montré que les séries ne convergent pas toutes si e est supérieur à 0.66274.
Si on retient pour fonction g(x) l'identité on obtient: E = M + e * sin(M) + (e^2 / 2) * 2 * sin(M)cos(M) + (e^3 / 8)( 3 * sin(3M) - sin(M))+...
Ce résultat peut aussi être obtenu par la formule de Taylor, il n'a donc rien d'original.
Dans le cas où on peut se satisfaire d'une précision qui ne soit pas trop grande et où l'excentricité est faible, on néglige habituellement les termes de degré deux et plus.
Mais il y a bien mieux car on peut choisir la fonction g(x) de telle sorte que le terme du deuxième ordre disparaisse.
Son coefficient est égal à d(sin^2(x) * g'(x)) / dx. Il suffit donc de retenir pour g(x) la fonction cotangente dont la dérivée est -1/sin^2(x) pour que ce coefficient s'annule comme dérivée d'une constante.
On obtient ainsi cot(E) = cot(M) - e / sin(M) + 0 + (e^3 / 6) * sin(M) + ...
Si alors on peut négliger le terme du troisième ordre, on obtient, sans oblitérer la précision, une formule au deuxième ordre près qui est extraordinairement simple: cot(E) = cot(M) -e /sin(M) ou encore:
tan(E) = sin(M) / (cos(M) - e).
Cette formule est donnée dans l'excellent ouvrage de Jean Meeus "Calculs astronomiques pour amateurs" paru en 1986 et réédité en 2014 par la Société astronomique de France.

Pour la terre dont l'excentricité est de 0.016705, la précision est de 0.16 seconde d'arc. La précision s'abaisse à une seconde d'arc dés que l'excentricité dépasse 0.0307, ce qui est le cas de toutes les planètes visibles à l’œil nu sauf vénus. Il convient alors de tenir compte du terme du troisième ordre et, pour mars, de faire une itération en retenant comme valeur finale E' = M + e * sin(E). 
En opérant ainsi pour la terre la précision monte à 0.00002 secondes d'arc!
La méthode n'est pas applicable à mercure.

Connaissant E on calcule l'anomalie vraie V. L'écart entre V et M est appelée équation du centre, "équation" signifiant alors petite quantité permettant une égalisation. Elle affecte la longitude du soleil.


en bleu, la terre quotidienne avec l'axe polaire et l'ellipse décrite en 365.2422 jours, en gris le cercle principal

Sur la figure ci-dessus représentant l'écliptique, pour une meilleure compréhension, l'excentricité a été très exagérée, cependant périhélie et aphélie sont bien à leur place. Ce n'est pas le soleil qui détermine ni l'angle que fait l'axe polaire avec le plan de l'écliptique ni sa direction. Il influence ces paramètres et les fait varier très légèrement et régulièrement au cours des siècles mais, fondamentalement, il s'agit là de deux degrés de liberté de la terre.
Il se trouve que l'axe polaire n'est pas dans le plan perpendiculaire à l'orbite qui passe par l'axe principal de l'ellipse (ligne des apsides). En 2018 la terre passe au périhélie le 3 janvier et à l'aphélie le 6 juillet: saison et distance au soleil sont indépendantes.
En vertu de la loi des aires, à l'aphélie, la terre va moins vite (29.29km/s au lieu de 30.29km/s au périhélie), elle reste donc plus longtemps dans la partie de l'orbite correspondant à l'été et à l'automne: c'est l'inégalité des saisons.
Hiver: 89 jours, printemps: 92.81 jours, été: 93.62 jours, automne: 89.82 jours.

Une autre inégalité du soleil vu de la terre tient au fait que celle-ci tourne autour d'un axe incliné sur son orbite.
La figure ci-dessous montre la sphère céleste avec le cercle de l'équateur et celui du trajet du soleil, appelé écliptique.

longitude et ascension droite

La longitude  L du soleil se mesure le long de l'écliptique (en rouge) à partir du point vernal, son ascension droite A se mesure depuis le même point vernal mais le long de l'équateur céleste. Les deux axes des mesures font entre eux l'angle de l'obliquité (23.44°). Le lien entre ascension droite et longitude s'écrit tan(A) = cos(23.44) * tan(L). La déclinaison  D est la hauteur de l'astre mesurée par rapport à l'équateur céleste. Déclinaison et longitude sont liées par la formule sin(D) = sin(23.44) * sin(L).
Il est clair sur la figure que l'évolution sur 20 jours de la position du soleil vu depuis la terre est fort différente selon que l'on se trouve au début ou à la fin du printemps. Pour la même variation de longitude de 20 degrés, du 20 mars au 9 avril l'ascension droite croît de 18.5° et du 31 mai au 21 juin de 21.6°. La déclinaison croît, elle, de 7.8° au début et de 23.44 - 21.9 = 1.54° seulement à la fin du printemps, à l'approche du solstice d'été, ce mot signifiant soleil stable. L'obliquité introduit donc une autre inégalité dans la marche quotidienne du soleil vu de la terre. On l'appelle réduction à l'équateur car elle transforme le mouvement sur l'écliptique en un mouvement horaire sur l'équateur. Sa valeur résulte de la formule des tangentes citée ci-dessus et peut se calculer par un développement en série classique.
Équation du centre et réduction à l'équateur se combinent pour donner l'équation du temps, écart horaire séparant l'ascension droite du soleil de celle d'un astre qui tournerait de manière uniforme autour de l'axe polaire (voir à ce sujet l'article du présent blog intitulé "l'équation du temps" en date du 06/06/2014).
Cet écart varie au cours de l'année entre +14m15s le 12 février et -16m25s le 4 novembre.

l'analemme ou courbe en huit de l'équation du temps

En un lieu de latitude géographique notée lat, l'angle horaire H du lever, ou du coucher, d'un astre quelconque (et notamment du soleil) dépend de sa déclinaison selon la formule cos(H) = - tan(lat) * tan(D). Il dépend donc fondamentalement de sa longitude par la formule des sinus citée plus haut.

L'équation du temps a donc des répercussions sur l'écoulement des jours et des nuits: les heures de lever et de coucher du soleil varient suivant l'anomalie du soleil et sa déclinaison.

les heures des levers et couchers du soleil tout au long de l'année


La courbe du haut en rouge représente la déclinaison du soleil et celle en bleu l'homothétique de la sinusoïde dans le rapport sin(23.44°) =  0.3978 . Ces deux courbes sont très voisines mais cela suffit à impacter sensiblement la marche du soleil.

Le graphique, calculé pour un lieu de latitude 47°, présente dans sa partie centrale, en jaune clair la période d'ensoleillement et en bleu clair la nuit. Les courbes, avec une couleur par saison, qui séparent les deux zones sont les heures de lever et de coucher du soleil. On parle ici en heure solaire locale et il n'est pas tenu compte de l'incidence de l'éventuelle heure d'été qui est artificielle.
On constate une dissymétrie par rapport à la ligne de midi entre lever et coucher et un étranglement pour les levers de l'hiver et les couchers de l'automne.

Le premier jour de l'année, dix jours après le solstice d'hiver, est celui où le lever est le plus tardif, à 7h45. Le lever le plus précoce a lieu le 17 juin, quatre jours avant le solstice d'été, à 4h4.
Le 12 décembre, neuf jours avant le solstice d'hiver, est le jour où le coucher est le plus tôt à 16h10. Le coucher le plus tardif intervient le 26 juin, cinq jours après le solstice d'été, à 19h59.

La courbe d'allure sinusoïdale en bleu représente l'équation du temps, celle en gris en est la dérivée et donne la durée du jour entre deux passages plein sud successifs et celle en rouge partage en deux l'ensoleillement du jour.
Pour les jours correspondant aux minima et maxima de l'équation du temps, là où la dérivée de l'équation du temps s'annule, soit les 12 février, 13 mai, 26 juillet et 4 novembre, la durée entre deux passages successifs plein sud, est exactement 24h00m00s. Pour les autres jours cette durée n'est pas de 24h. Le record du jour le plus long, 24h+29.9s, revient au 22 décembre alors que celui du jour le plus court 24h-21.1s est pour le 17 septembre.

Les jours où l'équation du temps s’annule, soit les 16 avril, 13 juin, 1er septembre et 25 décembre la durée du matin est égale à celle de l'après midi. Pour tout autre jour il y a partage inégal: le 4 novembre par exemple la matinée dure 16minutes de plus que l'après midi et c'est l'inverse le 12 février pour 14minutes.

en pliant l'année autour des solstices les caprices du soleil sont flagrants

La figure ci-dessus est la même que la précédente mais on a superposé les deux moitiés de l'année pour faire mieux apparaître l'influence de l'anomalie du soleil.

Ces subtilités de la marche de notre étoile laissent généralement insensible le quidam, mais un observateur attentif muni d'une horloge de bonne précision peut les mettre en évidence.

Il pourra ainsi apprécier les caprices du soleil