mardi 19 mars 2024

 Les étoiles se promènent: PRÉCESSION, NUTATION, ABERRATION

 

 Une belle histoire de savants juchés sur les épaules de leurs prédécesseurs.

 

Le déplacement du pôle nord terrestre sur la sphère des étoiles fixes en 25'800 années, de mille en mille ans

 

"Les coordonnées célestes des étoiles fixes sont variables"!

André Danjon (1890/1967) Directeur de l’Observatoire de Paris, in "Astronomie Générale", 1959.

Si les coordonnées des fixes varient c'est que les repères des astronomes se déplacent! Ces déplacements ont pour nom "précession" et "nutation".

Un troisième phénomène, optique celui-ci, l'aberration de la lumière, dû au mouvement de l'observateur terrestre combiné à la transmission non instantanée de la lumière, fait que la position apparente d'une étoile diffère de sa position géométrique.

 

LA PRÉCESSION DES ÉQUINOXES

Le Soleil en une année parcourt un grand cercle parmi les étoiles. Les constellations ainsi visitées, six mois au-dessus de l'équateur et six mois au-dessous, constituent le Zodiaque, et le chemin du Soleil, l'écliptique. L'équinoxe de printemps est l'instant du passage du Soleil de l’hémisphère sud à l’hémisphère nord. Avant ce jour, le Soleil se lève un peu au nord du point cardinal est et après lui un peu au sud, et au jour de l'équinoxe, à la réfraction atmosphérique près, il passe autant de temps au-dessus ou au-dessous de l'horizon. L'extrémité du style du cadran solaire décrit alors une droite est/ouest.

Dès l'Antiquité on savait déterminer le jour de l'équinoxe, appelé aujourd'hui point vernal ou point gamma, et on y avait placé l'origine des coordonnées. Puis, par l'observation, on calculait la distance angulaire des étoiles de proche en proche. Timocharis en 273 avant notre ère a trouvé 172° pour la distance de l’Épi de la Vierge au point vernal et Hipparque en 129 a mesuré 174°!

Comment expliquer cet écart de deux degrés, important car correspondant à deux jours, les étoiles restant fixes par définition? Une seule solution: l'instant de l'équinoxe s'est avancé de deux degrés en 144 ans, soit au rythme de 50 secondes de degré par an: la sphère des fixes tourne autour de l'axe des pôles! C'est la "précession" des équinoxes car chacun s'avance par rapport au précédent de 50 secondes de degré, noté 50", soit 1.4 centième de degré (chaque degré contient 3'600 secondes). En 1950, la longitude de l’Épi était mesurée à 203.8°, soit une variation de 31° en 2222 ans ou 50.2" par an.

Mais ce n'est pas tout à fait cela car les les mesures précises ultérieures montrent que pour une étoile proche de l'écliptique le déplacement du point vernal de 50.2" se décompose en une variation de la distance angulaire au méridien de l'équinoxe (l'ascension droite) de 46.05" et en une autre variation de la hauteur au dessous de l'équateur céleste (la déclinaison) de 20.04". Par application du théorème de Pythagore sur le triangle rectangle, l’hypoténuse s'établit bien à 50.2". Le petit angle vaut 23.5°, précisément l'angle de l'obliquité terrestre. C'est Copernic (1473/1543) qui émet la bonne hypothèse: l'axe des pôles tourne bien, mais autour de la direction du pôle de l’écliptique en faisant un tour en 25'800 ans (25'800 * 50.23 = 360°).

 

La précession des équinoxes de l'an 1000 à l'an 2000

 

En conclusion, l'origine des coordonnées n'est pas fixe et la direction des axes non plus!

 Quelle est la forme de la Terre?

Le sujet revêt une importance cruciale au XVIII ème siècle car il oppose Newton (1643/1727) et sa découverte de l'attraction universelle publiée en latin à Londres en 1687, aux autres savants de l'époque, successeurs de Descartes (1596/1650), Cassini  II (1677/1756) et Bernoulli (1700/1782) en tête, tenants de la théorie cartésienne des "tourbillons". La controverse connait des à-cotés nationalistes et religieux...Une Terre aplatie aux pôles  validerait la thèse de Newton car le renflement équatorial justifierait son explication de la précession des équinoxes par l'attraction universelle.

Pour vider la querelle, en 1738, les astronomes français Maupertuis (1698/1759) et Clairaut (1713/1765) et le suédois Celsius (1701/1744) se rendent en Laponie suédoise jusqu'au nord du cercle polaire pour mesurer par triangulation la longueur d'un degré de méridien. Une autre expédition emmenée par La Condamine était partie en 1735 pour le Pérou dans le même but. Les résultats confirment la prédiction de Newton, et Voltaire (1694/1778), grand partisan du génie de ce mathématicien, écrira à l'adresse de Maupertuis deux alexandrins souvent cités parmi d'autres:

"Vous avez confirmé dans des lieux pleins d'ennui

Ce que Newton connut sans sortir de chez lui"

La Terre présente donc un renflement équatorial du fait de sa rotation. Mais l'axe de cette rotation n'est pas perpendiculaire au plan de l'orbite: il est oblique et fait un angle de 23.44° avec sa verticale. Il en découle que, sauf au moment des équinoxes, les masses excédentaires du bourrelet ne sont pas symétriques autour du plan perpendiculaire à l'axe Terre/Soleil qui passe par son centre.

Cette asymétrie génère un couple qui tend à diminuer l'obliquité avec pour conséquence, par effet gyroscopique de la conservation du moment cinétique, de faire tourner l'axe de rotation terrestre autour de la verticale au plan de son orbite. La théorie, plutôt complexe, confirme que l'effet du Soleil sur le bourrelet en un an entraîne une rotation de l'axe de la Terre de 15.8" avec une faible oscillation entre équinoxes et solstices.

En vertu des lois de la Gravitation Universelle, l'attraction entre deux corps est proportionnelle à leur masse et inversement proportionnelle au carré de leur distance. Il en découle que l'écart d'attraction subie par deux parties d'un même corps de la part d'un autre corps, varie en raison directe de la masse de celui-ci et en raison inverse du cube de sa distance. C'est ainsi que la Lune, environ 400 fois moins distante de la Terre que le Soleil dont la masse est 27'000'000 fois plus importante, reste plus de deux fois prépondérante dans les perturbations créées sur la Terre. On retient généralement le facteur 2.2 (le même coefficient intervient dans la théorie des marées océaniques). La perturbation totale générée s'élève donc à 15.8 * (1 + 2.2 ) = 50.4": en un an, l'axe des pôles terrestres tourne autour du pôle de l'écliptique d'un angle égal à cette valeur, en mille ans de 14 degrés et en 25'800 ans il fait un tour complet.

C'est ainsi que dans le ciel étoilé, le pôle nord se déplace lentement. Aujourd'hui il est proche de l'étoile alpha de la Petite Ourse, dont le nom arabe d'origine, "Alruccabah", a été oublié au profit de sa fonction d'indicatrice du pôle. Mais il y a 4'800 ans c'était l'étoile Thuban, alpha du Dragon, qui montrait le nord aux constructeurs des pyramides égyptiennes. Dans 2'000 ans l'étoile polaire sera Arrai, gamma de Céphée.

 

Le bourrelet équatorial de le Terre, cause de la précession


LA NUTATION

La théorie précédente de la précession ne prend pas en compte deux caractéristiques de l'orbite décrite par la Lune autour de la Terre. D'une part elle ne se trouve pas, comme le Soleil, dans le plan de l'écliptique. L'orbite lunaire, inclinée d'un angle variant entre 5.0° à 5.3°, coupe l'écliptique en deux points opposés appelés les nœuds, celui où la Lune traverse l'écliptique du sud au nord est le nœud ascendant, l'autre est le nœud descendant. D'autre part, subissant de la part du Soleil un effet analogue à une précession, ces nœuds ne sont pas fixes et rétrogradent sur l'écliptique à raison d'un tour en 18.61 ans (19 jours par an).

L'astronome britannique James Bradley (1693/1762) a surveillé l'étoile gamma du Dragon sur 19 années de 1727 à1745, et a constaté que la précession n’expliquait pas complètement la variation de sa déclinaison. Hors précession, cette déclinaison, en 9 ans de 1727 à 1736, a augmenté de 18" et diminué de la même quantité en 9 ans de 1727 à1745. Il a ainsi découvert un nouveau phénomène périodique affectant l'obliquité de l'axe des pôles, il l'a dénommé "nutation" comme si le pôle hochait la tête, du latin nutare: hocher, et l'a attribué à la Lune en raison de la périodicité de la rétrogradation des nœuds qui vaut aussi 19 ans.

Par ailleurs l'obliquité de l'orbite lunaire sur l'équateur connait une variation importante suivant la longitude du nœud ascendant: lorsqu'elle est nulle l'inclinaison de l'orbite sur le plan de l'équateur atteint une valeur maximale égale à la somme des deux obliquités, 23.44° et 5.15°, soit 28.59° et quand elle vaut 180° l'inclinaison est minimale et prend la valeur égale à la différence entre 23.44° et 5.15° soit 18.29°.

Le 8 février 2025 la longitude du nœud ascendant sera nulle et la Lune atteindra sa déclinaison maximale. Les pleines lunes de l'hiver 2024/2025 se montreront à faible distance du zénith et celles des étés 2024 et 2025, peu au dessus de l'horizon.

 

le nœud ascendant coïncide avec le point gamma: la Lune au plus haut

 
L'obliquité O de l'orbite lunaire sur l'équateur est donnée par: cos(O) = cos(23.44)*cos(i)-sin(23.44)*sin(i)*cos(lonN) où i est son obliquité sur l’écliptique et lonN la longitude écliptique du nœud ascendant. Le nœud de l'orbite lunaire dans l'équateur n'est pas confondu avec le point gamma, son ascension droite A est donnée par: sin(A) = sin(i)*sin(lonN) / sin(O) et varie entre -13° et +13°. Ce nœud oscille donc de part et d'autre du point gamma avec une période de 18.61 ans et perturbe la précession exercée par la Lune.

Ces conditions ont pour conséquence un premier effet, analogue à la précession, qui affecte la longitude du point gamma et un second qui concerne l'obliquité de l'axe des pôles, la combinaison des deux donnant à la nutation l'allure du "rayon vecteur" d'une ellipse. Le petit axe, parallèle à l'écliptique correspond à une légère amplification ou réduction de la précession et le grand axe, dirigé vers le pôle de l'écliptique, fait hocher la tête du pôle nord. L'ellipse est parcourue dans le sens rétrograde en 18.61 ans.

L'observation et la théorie donnent pour les axes, en fonction de la longitude du nœud, les valeurs suivantes: 6.86*sin(lonN) en ascension droite et -9.21*cos(lonN) en déclinaison, les deux en secondes de degré.

La trace sur la sphère des fixes du pôle nord vrai se présente donc comme une courbe sinueuse autour du cercle centré sur le pôle de l'écliptique et de rayon 23.44°, non bouclée, avec un feston d'allure sinusoïdale d'amplitude 9.21", soit environ 0.1 millième du rayon ce qui interdit une représentation à l'échelle. Ce feston se reproduit un nombre de fois voisin de 25.800 / 18.61 soit 1'400 en 25'800 ans.


L'ABERRATION DE LA LUMIÈRE

Avant la mise au point des horloges de précision par Harrison (1693/1776) à partir de 1735 ou l'élaboration de tables de la Lune  suffisamment fiables par Clairaut en 1754, on déduisait les longitudes terrestres en mer des instants des éclipses  des satellites de Jupiter calculés par avance. L'astronome danois Ole Christensen Römer (1644/1710) chargé à Paris de contrôler par l'observation, les tables de ces éclipses établies par l'astronome français Jean Dominique Cassini (1625/1712) constata en 1676 un écart systématique d'environ 16 minutes, en plus ou en moins des prédictions, suivant que la planète est en opposition ou en conjonction. Il attribua cet écart à la différence de distance Terre/Jupiter entre les deux positions et l'expliqua par une vitesse non infinie de la lumière (en effet la lumière solaire met 8 minutes à atteindre la Terre).

Dès 1725 Bradley, encore avec l'étoile gamma, constate qu'au cours d'une année complète la visée d'une étoile varie et que l'étoile semble décrire une petite ellipse d'autant moins aplatie que sa latitude écliptique est forte. Il l'explique par le fait que la lumière ne se propageant pas de façon instantanée, pendant le laps de temps nécessaire au trajet de la lumière, l'observateur terrestre participe au déplacement de la Terre sur son orbite: il ne voit donc pas la réalité qui, étymologiquement, "erre en s'éloignant".

La géométrie montre, en première approximation, que, depuis la Terre, l'écart entre l'angle de visée et l'angle réel dépend de la position de la Terre sur son orbite mais pas de la distance de l'astre et n'est donc fonction que du rapport entre la vitesse de la Terre Vt (29.8 km/s) et celle de la lumière c (299'792 km/s). Exprimé en secondes de degré ce rapport s'établit à (Vt / c) * (360 /(2*pi)) * 3600, soit 20.5". C'est la "constante d'aberration".

L'étoile décrit en un an une ellipse dans un plan parallèle à l’écliptique dont le grand axe vaut 41" et le petit axe 41 * sin(b) où b est sa latitude. Une étoile située sur l'écliptique décrit de façon sinusoïdale un segment de 41" et une étoile polaire un cercle de rayon 20.5".

L'erreur commise en raison de la différence de grandeur entre les deux vitesses ne dépasse pas son carré, ce qui est infime, mais "ce fut le point de départ des travaux qui devaient aboutir à l'énoncé du principe de Relativité par Albert Einstein en 1905", A. Danjon op cité.

Le calcul différentiel en trigonométrie sphérique donne les formules à utiliser pour les coordonnées de l'étoile...

 

Sur 18.6 années: en bleu la précession, en rouge la nutation et son ellipse, et en gris les boucles annuelles de l'aberration

 

CONCLUSION

Entre étoile vue et étoile réelle, ou l'inverse, il y a donc trois étapes à franchir pour chiffrer l'écart de coordonnées. Les deux premières rendent compte du jeu complexe d'attraction entre les trois corps Soleil, Terre, Lune: la précession due au renflement équatorial de la Terre d'une part et la nutation due à l'obliquité et à la rotation de l'orbite de la Lune d'autre part. La troisième, due au déplacement de la Terre sur son orbite est plus prosaïque et géométriquement prépondérante.

Mais, ensemble, les trois restent affaire de spécialistes sauf pour les éditeurs de cartes du ciel imprimées dont les produits se périment en quelques dizaines d'années.

 

Un Monument!