mercredi 11 février 2015

le subtil mécanisme des éclipses de soleil en séries

La mécanique céleste organise, entre autres, les mouvements réciproques des trois corps que sont le soleil, la terre et la lune. L’âme en est la force de gravitation qui reste inexpliquée mais cette lacune n'empêche pas de comprendre les raisons qui donnent aux éclipses à la fois leur grande variété et leur régularité.

Fontenelle (1657-1757), Entretiens sur la pluralité des mondes, 1686, cité par Paul Couderc (1899-1981), in Les Éclipses, PUF 1971:
"Je suis fort étonnée, dit la marquise, qu'il y ait si peu de mystère aux éclipses...".

Et pourtant le premier mystère, ou plutôt la première coïncidence, est que, vus depuis la terre, soleil et lune ont à peu près le même diamètre apparent: la lune 400 fois plus petite que le soleil est 400 fois plus près de la terre. En fonction de la distance variable de la terre à la lune (de 56 à 63.8 rayons terrestres), le disque lunaire peut être légèrement plus grand ou légèrement plus petit que le disque solaire.

La lune est un satellite hors norme, sa masse très importante et l'inclinaison du plan de son orbite sur l'équateur terrestre permettent de considérer l'ensemble terre-lune plutôt comme une planète double. L'orbite de la lune autour de la terre est ainsi largement dépendante de l'attraction du soleil: c'est une sorte d'ellipse képlerienne dont le soleil fait varier à tout instant les caractéristiques autour de valeurs moyennes.

L'orbite géocentrique est une courbe gauche qui ne se referme pas.
Lors de la lunaison la force perturbatrice du soleil tend à réduire l'angle que fait le plan moyen de l'orbite de la lune avec l'écliptique, et ce n'est qu'au nœud que cet effet s'annule, l'angle valant alors 5.3°. Cette attraction du soleil influence encore la position des nœuds et d'autant plus qu'il en est plus éloigné: en moyenne, d'un passage de la lune à son nœud ascendant au suivant, en 27.21 jours, celui-ci a reculé de 1.44°. Ce nœud va donc à la rencontre du soleil et cette rencontre a lieu tous les 346.62 jours. On peut dire que, par rapport à la ligne des nœuds, le soleil se déplace de 360/346.62 = 1.0386° par jour.


Paul Couderc:"...un peu à la manière du fil de laine à la surface d'une pelote".

Il y a éclipse de soleil si la conjonction lune-soleil, la nouvelle lune, se produit à proximité d'un nœud.
Cette conjonction a lieu tous les 29.53 jours en moyenne. Compte tenu des diamètres apparents des deux astres, c'est pendant la période de 35 jours encadrant le nœud que l'éclipse intervient, lors de la nouvelle lune survenant pendant cette "saison d’éclipses". Ces 35 jours représentent 34.75° d'orbite.

L'ellipse osculatrice torturée.
(osculatrice = qui étreint au plus près l'orbite réelle à un instant donné).
L'astre prépondérant reste la terre et les lois de Kepler s'appliquent évidemment. La lune passe à son périgée moyen à un intervalle de 27.55 jours. La longitude de la lune obéit aux règles de l'équation du centre et dépend donc de la position du périgée et de la valeur de l'excentricité.
Mais la force perturbatrice du soleil fait varier ces deux paramètres.
Elle a pour effet d'imposer au périgée moyen un mouvement rapide de 40.7° par an (à titre de comparaison le périhélie de la terre ne décrit que 0.0033° par an).
Il en découle que tous les 103 jours environ le soleil se trouve dans la ligne d'un axe de l'ellipse osculatrice. Il est alors clair que la force perturbatrice va arrondir l'ellipse et retarder le périgée vrai si le soleil est aligné avec le petit axe, le contraire se passant lors de l'alignement avec le grand axe.


l'orbite de la lune déformée suivant la direction du soleil

Quand le soleil est aligné avec le grand axe (terre au jour 1 et terre au jour 206), l'excentricité est à son maximum de 0.065 et le périgée progresse de 0.33° par jour.
Par contre, lors de l'alignement avec le petit axe (terre au jour 103 et terre au jour 309), l'excentricité n'est plus que de 0.045 et le périgée recule de 0.22° par jour!
Quand on applique alors les formules classiques du calcul de l'équation du centre à cette ellipse déformable pour obtenir la longitude de la lune, on met en évidence une inégalité d'amplitude 1.27° et dont la période est égale à la somme algébrique:
longitude moyenne de la lune + longitude du périgée moyen - 2 fois la longitude moyenne du soleil, soit 31.8 jours.
Cela résulte directement de la mathématique de la mécanique céleste...
Cette inégalité est appelée évection par les astronomes.
Un autre effet de la force perturbatrice, la variation, est d'ovaliser globalement l'orbite en la dilatant perpendiculairement au rayon vecteur du soleil. Cette inégalité atteint une amplitude de 0.66° avec une période égale à la moitié de celle des phases lunaires, en particulier elle est nulle lors des nouvelles ou pleines lunes.
Les astronomes d'aujourd'hui ont répertorié plusieurs milliers d'inégalités de moindre effet.


La variété des éclipses provient encore de la capacité de la lune à cacher tout ou partie du disque solaire fonction de sa position sur son orbite à ce moment.
La trace sur la terre du pinceau d'ombre projeté par la lune est encore plus diversifiée du fait de la rotation terrestre et de l'inclinaison de l'axe de rotation sur l'écliptique (23.44°).

C'est donc assez compliqué mais il n'y a pas de mystère, encore qu'il n'est pas sûr que Fontenelle ait expliqué tout cela à la marquise de G***!

On constate que les éclipses se rassemblent sur 4 ans en fratries, qu'elles vivent en moyenne 1.300 ans, en se reproduisant tous les 6.585 jours, soit en moyenne 72 fois...

Le mystère s'épaissit!

Les suites courtes d'éclipses, les fratries, apparaissent ci-dessous pour la période 2014 à 2019.
En premier lieu les éclipses de soleil se produisant au nœud descendant:

avril 2014 dernière éclipse de la suite courte précédente
Cette éclipse a lieu après le nœud et assez loin de celui-ci, la prochaine éclipse à ce nœud se produira avant lui avec un mois d'avance.

mars 2015 première éclipse de la suite courte
mars 2016 deuxième éclipse
février 2017 troisième éclipse
février 2018 quatrième et dernière éclipse de la suite commençée en mars 2015
Comme celle d'avril 2014 cette éclipse a lieu loin du nœud descendant et la prochaine éclipse se produira avant lui avec un mois d'avance

janvier 2019 première éclipse de la suite suivante

Éclipses se produisant au nœud ascendant pour la même période 2014 à 2019:

octobre 2014 dernière éclipse de la suite précédente
Cette éclipse a lieu après le nœud et assez loin de celui-ci: la prochaine éclipse à ce nœud se produira avant lui.

septembre 2015 première éclipse de la suite
septembre 2016 deuxième éclipse

août 2017 troisième éclipse
juillet 2018: UN INTRUS!
Cette éclipse n'appartient pas à la suite en cours! C'est en réalité la première éclipse de la suite suivante qui intervient avant la fin de la suite en cours parce qu’elle a trouvé place avant le nœud!
Lors de cette saison d'éclipse il y aura donc 2 éclipses de soleil au nœud ascendant à un mois d'intervalle: il y a décrochage d'une lunaison.


août 2018 quatrième et dernière éclipse de la suite commencée en septembre 2015

En 12 lunaisons l'écart entre le soleil et le nœud augmente en moyenne de 12x29.53x1.0386 = 368.038° = 8.04°. Lors d'une série courte de 48 lunaisons l'amplitude atteint 32.15° ce qui est inférieur à la durée de la saison d'éclipses: il y a toujours 4 éclipses dans la suite. Mais à la lunaison précédente, la 47ème, l'écart était de 1.48° mais de l'autre coté du nœud et, selon la position initiale, il est possible qu'il se produise une éclipse en avance lors de cette 47ème lunaison.
C'est ce qui arrive en juillet 2018. La même chose était arrivé au même nœud en juillet 2000  et en juin/juillet 2011 au nœud descendant. L’occurrence du phénomène est en moyenne de 1 pour 13 passages à un nœud.

juillet 2019 deuxième éclipse de la série suivante
  
Le Saros est la périodicité qui permet de considérer une éclipse comme un phénomène qui nait, vit, se transforme et meurt!
En effet au bout de 6.585,32 jours les éclipses se reproduisent avec très peu de changement.
Le Saros compte presque exactement à la fois 223 lunaisons de 29.53 jours (6.585,32 jours), 242 mois d'éclipses de 27.21 jours (6.585.36 jours), 239 intervalles de passage de la lune au périgée moyen de 27.55 jours (6.585,54 jours) et enfin 18 intervalles de passage de la terre au périhélie de 365.2596 jours (6574.67 jours).
Il en découle qu'après un Saros, pour deux éclipses homologues, les valeurs moyennes des paramètres sont peu différentes ainsi que l'effet de la force perturbatrice du soleil: on peut considérer que la même éclipse revient presque identique à elle-même et qu'elle ne fait que se répéter au même nœud.

20 mars 2015 7h40

6585,35 jours après, 30 mars 2033 16h

Entre deux éclipses homologues il y a une légère évolution.

L'éclipse du 30 mars 2033, homologue de celle du 20 mars 2015, ne se produit pas après un nombre entier de jours ce qui a pour conséquence que l'impact sur la terre est déplacé de 0.35 jours, soit 126° vers l'ouest, de l'atlantique nord à l'Alaska.

Par ailleurs l'écart entre les 223 lunaisons (6.585,321 j) et les 242 mois d'éclipses (6.585,357 j) vaut 0.036 jours soit 52 minutes. Pendant ce temps supplémentaire la lune s'est écartée d'environ 0.4° du nœud descendant, sa latitude est donc légèrement plus élevée et l'impact sur la terre est décalé vers le nord. Ce temps supplémentaire et le décalage qui en résulte sont à la base de la notion de "suite longue" d'éclipses.

En moyenne, d'une éclipse à son homologue, la lune progresse par rapport au nœud descendant de 0.48° soit 28.6'. Or l'étendue maximale d'une saison d'éclipses est de 34.75°, on peut donc loger 34.75 / 0.48 = 72 fois le décalage moyen: voilà la suite longue d'éclipses se produisant de saros en saros au même nœud. La première des 72 est une éclipse partielle très faible car loin du nœud et concernant le pôle sud. Les éclipses suivantes augmentent de force, deviennent centrales en remontant vers l'équateur, puis sont à nouveau partielles et diminuent enfin pour ne concerner que le pôle nord et disparaître! Le processus dure en moyenne 72 saros c'est à dire environ 1.300 ans.
Il en est de même pour les suites longues se produisant au nœud ascendant, les éclipses commençant alors au pôle nord et se terminant au pôle sud.

Jean Meeus, éminent expert en la matière, signale ainsi (Éphémérides Astronomiques 2015 publiées par la Société Astronomique de France) que l'éclipse du 20 mars 2015 appartient, avec le numéro 60, à la suite longue qui a commencé le 27 mai 923 et qui finira le 7 juillet 2195 après 71 éclipses qui se répartissent pendant ces 1262 ans en 7 éclipses partielles intéressant l’hémisphère sud puis 55 éclipses totales et enfin 9 éclipses partielles concernant l'hémisphère nord.

Pendant la durée d'un saros il se produit 19 saisons d'éclipses de soleil à chaque nœud, ce qui génère en moyenne 21 éclipses et, à un instant donné, il y a donc 21 suites longues de chaque nœud en cours. On assiste donc à la mort et à la naissance d'une suite longue de chaque nœud à intervalles de 60 ans en moyenne.

Ces admirables mécanismes sont-ils le fruit du hasard ou la conséquence de la gravitation universelle?

Décidément, la marquise de G***  a du être incomplètement informée...

Theodor von Oppolzer (1841-1886) astronome autrichien, mathématicien exceptionnel, s'est adjoint une dizaine de calculateurs pour établir un canon d'éclipses couvrant la période allant de -1207 à 2161. Plus de 8.000 éclipses de soleil ont été ainsi calculées. Compte tenu des moyens de l'époque trois points seulement de la trace sur la terre de chaque éclipse purent être déterminés et c'est le cercle passant par ces trois points qui a été retenu comme trace complète.
Malheureusement Oppolzer n'a pas eu entre les mains l'édition de son œuvre, seulement les épreuves... sur son lit de mort! Son livre est paru en 1887.

Jean Meeus et ses collègues ont repris ces calculs en 1966 puis encore en 1983 et encore en 2006...

Oppolzer (1887) les éclipses de soleil 2008-2030
Meeus et collègues (1966) les mêmes éclipses





 

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