"Cette large et ample route, dont la poussière est d'or et le pavement, les étoiles;
ainsi les étoiles t'apparaissent, vues dans la Galaxie,
cette Voie Lactée, qui, de nuit, t'entoure telle une ceinture poudrée d'étoiles".
C'est ainsi que John Milton (1608-1674) - cité par Thomas Wright (1711-1786) in "Textes essentiels", anthologie de Jean Pierre Verdet, Larousse 1993 - décrit la grande arche de matière lumineuse qui parcourt le ciel nocturne, reposant sur deux points opposés de l'horizon. ainsi les étoiles t'apparaissent, vues dans la Galaxie,
cette Voie Lactée, qui, de nuit, t'entoure telle une ceinture poudrée d'étoiles".
Il y a dans ce spectacle de quoi s'interroger.
Dans la mythologie grecque le ruban laiteux provient d'une giclée du lait maternel de Héra, lors de l'allaitement plus ou moins consenti d’Héraclès, fils illégitime de Zeus son époux et d'Alcmène épouse d’Amphitryon fils du roi de Tirynthe. Le mot grec pour lait est gala, galaktos au génitif, d'où "tou galaktos kyklos" pour cercle de lait.
Le poème de Manilius datant du début du premier siècle - cité par les mêmes - explique: "les âmes valeureuses, libérées des soucis du corps, se rendent là et y mènent une vie éthérée". S'agit-il du Paradis?
Certains astronomes anciens imaginaient déjà que cette rivière de lait pouvait résulter d'une accumulation de petites étoiles. C'est la lunette de Galilée qui permit de le vérifier en1609.
Wright en 1750 émit la bonne hypothèse en estimant que ce grand cercle pouvait résulter de la vision qu'on aurait, depuis l'intérieur et par la tranche , d'une galette où un grand nombre d'étoiles seraient rassemblées.
Mais le concept de galaxie n'a pas cent ans: ce n'est qu'en 1930 que la communauté scientifique se met d'accord sur l'organisation de l'univers en galaxies.
Après Kepler et Galilée une nouvelle astronomie se met en place grâce aux progrès conjugués faits dans la mesure du temps, les outils mathématiques et les moyens d'observation: horloge à pendule, garde-temps, logarithmes, analyse, calculs différentiel et intégral, lunettes et télescopes géants...
Les jalons de cette évolution ont pour noms: Néper, Huygens, Cassini, Newton, Leibniz, d’Alembert, Halley, Bradley, Herschel, Euler, Lagrange, Laplace...
En deux siècles le système solaire, augmenté de l'anneau des astéroïdes entre mars et jupiter (dont les troyens positionnés aux points de Lagrange de l'orbite de jupiter), de la ceinture de Kuiper et du nuage d'Oort d'où viennent les comètes, est arpenté aux sens propre et figuré et on peut passer à l'étape suivante: les étoiles.
18/10/2014, 20h42 heure de Sion, la Voie Lactée (en rouge) est perpendiculaire à l'horizon, le centre de la galaxie est à l'horizon dans le Sagittaire, Deneb est au zénith, mars va se coucher. |
Pour comprendre le ciel il est essentiel de connaître la distance des étoiles: l'astrométrie est la fondation des autres disciplines de l'astronomie.
Dès 1725 Bradley (1693/1762) s'était attelé au problème de la parallaxe annuelle, c'est à dire à la mise en évidence de l'écart d'angle présenté, en raison du déplacement de la terre sur son orbite, par une étoile observée à une certaine date et six mois après. Il avait choisi l'étoile Eltanin, la tête du dragon, malheureusement beaucoup trop loin, à 148 a.l. Une telle distance ne lui permettait pas de réussir avec les moyens encore peu performants dont il disposait, mais il a découvert que l'étoile décrivait une ellipse inattendue, explicable si on considérait que la vision des étoiles, comme celle du soleil, était affectée du phénomène optique de l'aberration dû à la transmission non instantanée de la lumière. Continuant ses observations et les débarrassant de l'effet de la précession, il découvre ensuite une oscillation de la déclinaison de l'étoile avec la même périodicité que la rétrogradation des nœuds lunaires (18.6ans), il appela ce phénomène la nutation. Les mathématiciens démontreront plus tard que précession et nutation découlent de la gravitation universelle.
observation d'Eltanin sur 20 ans, en bleu l'effet de la précession, en rouge celui de la nutation, les boucles annuelles résultent de l'aberration |
La première parallaxe annuelle a été établie par l'astronome allemand Bessel (1787/1846) en 1838 pour l'étoile 61 Cygni de magnitude 5.2 qui se trouve à 11 a.l. seulement, soit une parallaxe égale à 0.35 seconde d'arc. Il lui fallut 286 mesures échelonnées sur 2 ans! (Danloux-Dumesnils, 1985). Les astronomes utilisent comme unité de distance pour les étoiles, le parsec, égal à l'inverse de la parallaxe exprimée en seconde d'arc: 61 Cygni est à 2.86 parsec (et Sirius à 2.67).
Au delà de 40 pc (130 a.l.) la méthode n'est plus applicable car la mesure précise de l'angle devient impossible. 300 étoiles seulement sont redevables de ce procédé exact à 10% près.
Dans l'attente de l'ère des satellites astrométriques de l'ESA (Hipparcos en 1989 et Gaia en 2013), on quitte alors le domaine du calcul pour procéder par analogie.
En 1784, Goodricke (1764/1786), astronome amateur, découvre la variabilité de l'étoile delta Céphée. Cette étoile passe très régulièrement de la magnitude 3.5 à 4.4 en 5.4 jours. En 1912 Miss Leavitt (1868/1921) découvre que ce type d'étoiles pulsantes est largement présent dans les nuages de Magellan, nébuleuses de l'hémisphère sud, et remarque que pour ces variables il y a proportionnalité entre la période et la luminosité. La magnitude visuelle étant fonction de la distance de l'étoile, il y a là une méthode pour apprécier cette distance. Reste à calibrer cette relation. Cela fut fait l'année suivante par l'astronome hollandais Hertzsprung (1873/1967) par la méthode peu fiable de la "parallaxe statistique". En 1918 l'estimation doit être multipliée par 10, puis encore par 2 en 1952!
On utilise aussi les étoiles vibrantes du type RR Lyrae dont la magnitude absolue est très voisine de -0.6 et la période proche de quelques heures.
D'autres méthodes de plus en plus sophistiquées sont mises au point et, heureusement, convergent, ce qui atteste de leur pertinence.
Parallèlement l'image de la Galaxie prend forme dans l'imaginaire des astronomes: la densité variable d'étoiles dit que c'est une galette, la répartition des amas globulaires, hors de cette galette, amène à penser que le soleil n'est pas en son centre...
On aboutit à un disque renflé en son centre, d'un diamètre de 30.000 pc, d'une épaisseur de 3.000 pc avec une structure spiralée, le soleil à 8.000 pc du centre fait un tour complet en 230 millions d'années . Le plan de l'écliptique fait un angle de 63° avec le plan galactique.
La Galaxie comprend certainement une centaine de milliards d'étoiles
M31 galaxie d'Andromède photo F.Borle observatoire de la SAVAR 09/2013 |
Son modèle est la nébuleuse de la constellation d'Andromède située à 700.000 pc (2.2 millions d'années lumière), seul objet visible à l’œil nu qui n’appartienne pas à notre Galaxie. En 1923 l'astronome américain Hubble (1889/1953) par l'analyse d'une céphéide qui y avait été détectée pouvait conclure à une distance d'un million d'années lumière.
La Voie Lactée appartient à l'amas de galaxies dénommé amas local qui n'est que l'un des très nombreux amas de galaxies existants...
Manilius, cité par les mêmes:
"L'étonnement doit vraiment atteindre leurs sens, de voir la large blessure du monde et la brèche éternelle du ciel".
Télescope Hubble crédit NASA, ESA |
Ou bien Jean Rostand (1894-1977), l'Homme 1940:
"Atome dérisoire, perdu dans le cosmos inerte et démesuré, il (l'Homme) sait que sa fiévreuse activité n'est qu'un petit phénomène local, éphémère, sans signification et sans but. Il sait que ses valeurs ne valent que pour lui et que, du point de vue sidéral, la chute d'un empire, ou même la ruine d'un idéal, ne compte pas plus que l'effondrement d'une fourmilière sous le pied d'un passant distrait.
Aussi n'aura-t-il d'autre ressource que de s'appliquer à oublier l'immensité brute qui l'écrase et qui l'ignore. Repoussant le stérile vertige de l'infini, sourd au silence effrayant des espaces, il s'efforcera de devenir aussi incosmique que l'univers est inhumain; farouchement replié sur lui-même, il se consacrera humblement, terrestrement, à la réalisation de ses desseins chétifs, où il feindra de prêter le même sérieux que s'ils visaient à des fins éternelles".