mardi 23 février 2016

L'aube de la science dynamique: Kepler, Galilée, Huygens, Newton et...Voltaire

Galiléo Galilée (1564-1642) est l'inventeur de la science physique: il est le premier à se livrer à des expérimentations pour percer les mystères des phénomènes naturels qu'il constate autour de lui, et prouver les théories qu'il entrevoit.
Il est évidemment surtout connu pour son adhésion aux idées de Copernic sur l'héliocentrisme, pour leur propagation et finalement, en 1633,  pour sa rétractation devant le tribunal de l'Inquisition. Ses découvertes indiscutables des montagnes lunaires, des étoiles de la voie lactée, des satellites de Jupiter, des phases de Vénus, des taches solaires, n'empêchent pas qu'il ait du céder à l'obscurantisme.



Ses expériences sur la chute des corps établissent que, quels que soient leurs poids, des objets lâchés ensemble depuis un point haut, arrivent simultanément sur le sol.
Voilà qui est a priori étonnant: une grosse pierre ne va pas plus vite qu'une petite alors qu'elle pèse bien plus!
Il faut en conclure que les effets de l'attraction terrestre ne dépendent pas de la masse.
C'est d'ailleurs heureux car autrement tout corps se disloquerait à l'occasion de la moindre chute.

Mais les expériences sur la chute des corps prouvent aussi que ce mouvement est uniformément accéléré.

les lois de la chute des corps

A la fin de la première seconde de chute une distance de 15 pieds de Paris est parcourue.
Au bout de deux secondes la distance parcourue est de 60 pieds.
Et à la fin de la troisième seconde cette distance est de 135 pieds.
Un observateur avisé remarque alors que 60 est égal à 4 fois 15 ou encore au carré de 2 (i.e. 4) multiplié par 15 et que 135 est égal au carré de 3 (i.e. 9) multiplié par 15 alors que justement ces valeurs de la distance sont obtenues à la fin des secondes 2 et 3.
Conclusion: la distance parcourue lors d'une chute est proportionnelle au carré de sa durée.
Le coefficient de proportionnalité est constant et égal à 15 pieds par seconde et par seconde.

Par ailleurs, la vitesse moyenne par seconde est de 15 pieds par seconde pendant la première seconde, de 45 pendant la deuxième et de 75 pendant la troisième.
Notre observateur avisé note alors que 45 est égal à 15 plus 30 et que 75 est égal à 15 plus 2 fois 30.
Il en conclut que la vitesse moyenne augmente donc régulièrement de 30 pieds par seconde à chaque seconde à partir de la fin de la première. En extrapolant à des durées très petites il peut conclure que la vitesse instantanée est proportionnelle à la durée de la chute et que le coefficient de proportionnalité est constant et égal à 30 pieds par seconde et par seconde.
On appelle accélération cette augmentation de la vitesse.
Conclusion de Galilée: l'accélération de la pesanteur est uniforme et égale à 30 pieds par seconde et par seconde.
Le pied de Paris vaut 32.48 cm et il est ainsi établi que l'accélération vaut 9.74 m/s/s. On retrouve à peu de choses près la valeur moderne de "g" (g pour gravity): 9.81 m/s/s.
Les formules modernes sont v = g*t et z = (1/2)*g*t^2.
On définit alors la masse comme le rapport entre le poids d'un corps, mesuré sur une balance par exemple, et l'accélération terrestre:  poids = force = masse*g.
Ces principes relatifs à la chute des corps s'appliquent au pendule dont le "moteur" est aussi l'attraction terrestre. Lors de l'expédition organisée en 1672 à Cayenne en vue de déterminer la distance terre-soleil à l'occasion de l'opposition de la planète mars, Richer (1630-1696) a constaté que le pendule battait plus lentement à l'équateur, là ou se trouve le bourrelet équatorial de la terre dû à la force centrifuge. La conclusion fut que l'attraction terrestre et donc l'accélération variaient selon la distance au centre de la terre. On voit là la différence entre poids et masse, celui-là variant avec l'accélération et celle-ci restant invariable.

le pendule à joues cycloïdales

Christiaan Huygens (1629-1695) est l'astronome hollandais qui a conçu l'horloge à pendule, 20 fois plus précise que l'horloge à foliot.
Il a également étudié la force centripète qui s'exerce sur le fil retenant un corps posé sur une roue tournant autour d'un axe vertical et a montré que la force centripète est proportionnelle au carré de la vitesse linéaire tangentielle et inversement proportionnelle à la longueur du fil: F = k*(V^2/R).
Il a aussi remarqué que si on donne à la roue une vitesse telle que la force centripète, mesurée par un ressort étalonné par exemple, soit égale au poids du corps, alors la vitesse linéaire du corps est celle qu'il atteint après une chute de la moitié de la longueur du fil (cité par J.P. Verdet dans "Astronomie et Astrophysique" Textes Essentiels Larousse). Il a établi ainsi que le coefficient k n'est autre que la masse du corps.
En effet en éliminant le temps dans les formules de la chute des corps on trouve v^2 = 2*g*R/2, d'où F = m*g = k*(2*g*R/2)/R et k = m.
Huygens met ainsi au jour un lien essentiel entre gravité et force centripète mais ses convictions cartésiennes l'empêchent d'imaginer une action à distance, sans liaison matérielle entre deux corps, et il passe à coté de la gravitation universelle.

"sur" ou bien "de" ?
Pour René Descartes (1596-1650), en effet, le vide est inimaginable et ce sont des tourbillons de matière subtile qui poussent les planètes. Dieu et la métaphysique sont omniprésents dans son discours et ses solutions sont incompatibles avec les lois de Kepler, "ce qui relèguera la mécanique cartésienne dans les tiroirs de l'histoire, sinon dans ses poubelles". (J.P. Verdet opus cité).

Isaac Newton naît le 25 décembre 1642, en date julienne, car ce n'est qu'en 1752 que l’Angleterre, anglicane depuis 1534, appliquera la réforme grégorienne du calendrier. Il décède à 84 ans le 31 mars 1727.
Pour rappel la bulle papale "inter gravissimas" du pape Grégoire XIII en date du 24/02/1582 supprime pour l'avenir le caractère bissextil des années séculaires sauf pour celles dont le nombre de siècles est divisible par 4, et supprime 10 jours dans l'année 1582 pour rétablir le début du printemps au 21 mars, date arrêtée par le Concile de Nicée en 325. L'année compte ainsi 365.2425 jours. A Rome le lendemain du jeudi 4 octobre fut le vendredi 15. En Angleterre le lendemain du 2 septembre 1752 fut le 14 (onze jours au lieu de dix en raison du 29 février 1700).

A la naissance de Newton, Kepler est mort depuis douze ans, Galilée depuis un an, Huygens a douze ans et Descartes quarante-six.

"L'enfance de Newton a dû beaucoup peser sur son destin, et peut expliquer bien des traits de son comportement, dont certains étranges et insolites. Le drame s'est noué avant même sa naissance: son père, - paysan propriétaire aisé -, est mort quelques mois après les noces. Sa mère se remarie quand il a trois ans avec un pasteur veuf et riche qui a dépassé la soixantaine et veut bien de la femme, mais pas de l'enfant. Isaac entre trois et onze ans est élevé par sa grand mère maternelle...
Newton fut solitaire, renfermé, et même secret...
Il ne se laissa jamais distraire de sa grande distraction, le travail." (Gérard Simon, Mais qui donc était Newton?, Le Débat, mars 1983, Gallimard).

Il revient à Isaac Newton (1643-1727) de découvrir la loi de la gravitation universelle, universelle car elle explique aussi bien la chute des corps que le mouvement des planètes: c'est la clé de l'organisation des mondes.


Mais ses domaines d'étude ont aussi concerné l'optique: il a inventé en 1671 le télescope à réflexion sur un miroir concave, bien supérieur à la lunette de Galilée et dénué d'aberration chromatique, et il a expliqué la décomposition de la lumière l'attribuant non pas au verre du prisme mais bien au rayon lumineux lui-même. C'est lui qui a fixé les 7 couleurs du spectre (violaceus, indicus, caeruleus, viridis, flavus, aureus, ruber). En langage moderne le mot "orange", devenu commun, est préféré à "doré". Il se dit encore que la couleur indigo n'aurait été retenue que pour obtenir le nombre de 7 couleurs!



En mathématiques pures il a imaginé le calcul infinitésimal, se trouvant alors en concurrence avec d'autres mathématiciens ce qui aura pour conséquence des brouilles ou inimitiés avec le savant allemand Leibniz (1646-1716) et l'anglais Hooke (1635-1703).

Pour ses travaux sur la gravité Newton dispose des travaux de Kepler, Galilée et Huygens, il a l'intuition qu’une explication globale existe et c'est la lune qui va la lui donner.
Les projectiles tels que les boules des jeux de plein air ou les obus tirés par les canons finissent par tomber sur le sol: ils se comportent de façon analogue aux pommes qui, elles, tombent verticalement. La loi de la gravité gouverne le comportement des uns et des autres.
Pourquoi n'en serait-il pas de même de la lune qui ne fait que tomber sur la terre sans jamais l'atteindre en raison d'un équilibre des forces subies.
La masse de la lune est évidemment inconnue, mais sa distance moyenne à la terre, exprimée en rayons terrestres a pu être déterminée par trigonométrie: elle est égale à 60.3 rayons terrestres. Depuis les constatations de Richer, Newton sait que le poids varie selon la distance du corps au centre de la terre. Il va alors chercher à déterminer la loi de cette variation en appliquant les lois de la chute des corps à la lune.
On sait que sur la terre la distance parcourue par un corps en chute libre au cours de la première seconde est de 15 pieds. La distance parcourue par la lune pendant une seconde est l'écart entre sa distance à la terre et la position qu'elle aurait prise en l'absence de gravité, en continuant sa trajectoire tangentiellement.

la lune tombe de L' en L

La période de révolution sidérale de la lune étant de 27.322 jours la valeur de l'angle u décrit par la lune en une seconde vaut 360/(86'400*27.322) degrés, c'est à dire 0.0001525 degrés, soit 0.55 secondes d'arc. Elle est évidemment extrêmement petite.
La géométrie montre que la longueur du segment LL' exprimée en rayons terrestres est égale à 60.3(1-cos(u))/cos(u)). L'angle u étant très petit cela peut s'écrire 60.3(1-cos(u)).
Le calcul donne cos(u) = 0.99999999999649 et on obtient: LL' = 60.3*3.51*10^-12.
Il faut alors rapprocher cette valeur des 15 pieds constatés sur terre.
Pour plus de simplicité passons à un calcul mené avec les unités actuelles.
La longueur exprimée en millimètres de LL' est: 384'400'000'000*3.51*10^-12 soit 1.35 mm.
Sur terre on constatait une chute de 15 pieds en une seconde, soit 4.87 m, en réalité 4.905 m (9.81/2).
Le rapport de 4'905 à 1.35 est 3'633 dont la racine carrée est 60.3.
Or les distances des points de chute au centre de la terre, est de 384'400 km pour la lune et 6'378 km  pour la pomme (!), valeurs dont le rapport est précisément égal à 60.3!
Proportionnelle à la vitesse, l'accélération varie donc en fonction inverse du carré de la distance du corps attiré.
Cependant Newton s'est heurté à l'estimation erronée du rayon terrestre disponible à l'époque, il n'avait connaissance que d'une valeur sous-estimée de 15% et à la fin de ses calculs en 1666 il a du renoncer à son intuition.
En France l'abbé et astronome Jean Picard (1620-1671) est chargé en 1669 par l'Académie des Sciences de "mesurer la terre" c'est à dire de mesurer par arpentage et triangulation la longueur d'un trajet entre deux points séparés d'un degré de latitude. Le résultat paru en 1671 donna 111-112 km soit pour le rayon terrestre 6388 km.
Mais Newton n'a connaissance de cette nouvelle valeur qu'en 1684!
Il reprend ses calculs, constate la pertinence de son intuition, et en vérifie la concordance avec la troisième loi de Kepler qui énonce que le cube du grand axe  "a" est proportionnel au carré de la période de révolution "T" : a^3 = K*T^2. Les orbites des planètes sont très proches de cercles pour lesquels la vitesse linéaire vaut 2*pi*a/T. Depuis Huygens on sait que la force centripète s'écrit: F = m*v^2/a. D'où F = m*4*pi^2*a/T^2. Si cette force est inversement proportionnelle au carré de la distance on a:  m*4*pi^2*a/T^2 = k*m/a^2 ce qui donne:  a^3/T^2 = k/(4*pi^2).
Conclusion: loi de la gravitation et 3ème loi de Kepler sont une seule et même loi.

En 1687, avec l'aide sur le plan financier de Edmund Halley (1656-1742), il publie ses résultats.

copyright Alan Kubitz
Dès lors Newton est reconnu comme une sommité de la Science en Angleterre.
Mais ses découvertes ont du mal à traverser le Chanel car en France ce sont les principes de Descartes, mort depuis 37 ans, qui sont la loi.

C'est alors curieusement qu'intervient le philosophe des Lumières.

Voltaire (1694-1778) qui, à l’âge de 23 ans, avait été embastillé pendant onze mois sur ordre du Régent en 1717-1718, est menacé à nouveau de la Bastille à la suite de son algarade avec le chevalier de Rohan, qui l'a fait bastonner en janvier 1726 et dont il voudrait tirer vengeance. Il doit s'exiler et choisit l’Angleterre. Il assiste probablement le 8 avril 1727 aux obsèques solennelles de Newton à Westminster et fréquente les propagateurs de la doctrine newtonienne.
Le mathématicien français Pierre de Maupertuis (1698-1759), membre associé de la Royal Society, découvre cette doctrine lors d'un voyage à Londres en 1728 et en devient un ardent défenseur.
Un débat entre scientifiques s'ouvre alors sur la forme de la terre. Pour Cassini, fervent cartésien, la terre est "pointue" aux pôles alors que Newton déduit de sa théorie qu'elle doit être renflée à l'équateur.
L'Académie des Sciences organise alors en 1735 et 1736 une expédition en Laponie menée par Maupertuis et une autre au Pérou pour mesurer, comme l'avait fait Picard en 1671, la longueur d'un degré de latitude. La première expédition revenue en 1737 donne pour résultat une longueur par 66° de latitude de 57.438 toises alors que la mesure de Picard à 48° de latitude était de 57.060 toises (le résultat de l'expédition au Pérou ne sera connu, après bien des vicissitudes, qu'en 1744 et donne 56.749 toises). Maupertuis et Newton triomphent!
Voltaire peut écrire en 1738:
Héros de la Physique, argonautes nouveaux
Qui franchissez les monts, qui traversez les eaux,
Ramenez des climats soumis aux trois Couronnes
Vos perches, vos secteurs et surtout deux Lapones,
Vous avez confirmé dans ces lieux pleins d'ennui
Ce que Newton connut sans sortir de chez lui.

Voltaire, rentré en France en 1729, poursuit une carrière d'homme de lettres mais en 1734 sont publiées ses Lettres Philosophiques qui sont "un éloge de la liberté et de la tolérance anglaise perçu à Paris comme une attaque du gouvernement et de la religion".
Voltaire est menacé par une nouvelle lettre de cachet. Il se réfugie en Lorraine, duché hors du pouvoir royal, au château de Cirey qui appartient à la famille de Breteuil et précisément à Emilie du Châtelet marquise de Breteuil (1706-1749) que Voltaire a connu l'année précédente à Paris.
Émilie était une femme du monde, mais elle était surtout une femme de science, élève du mathématicien Maupertuis.
C'est à Cirey que Voltaire, guidé par Émilie (et Maupertuis ?), rédige ses Éléments de la philosophie de Newton, ouvrage publié en 1738 qui va enfin vulgariser en France les idées de Newton.

Voltaire inspiré par Newton grâce à la marquise du Châtelet
 Pendant le séjour de Voltaire à Cirey, Émilie du Châtelet entreprend sur sa suggestion et avec l'appui de Maupertuis et Clairaut la traduction du latin en français du livre de Newton.
Mais s'étant entichée du marquis de Saint Lambert à la cour de Stanislas Leszczynski, roi détrôné de Pologne et beau-père de Louis XV depuis 1725, à Lunéville, la marquise décède en couches à l'âge de 42 ans en 1749. Voltaire part à la cour de Prusse.
Le livre d'Émilie du Châtelet sera publié par les soins de Voltaire en 1756, 69 ans après la parution des Philosophiae Naturalis Principia Mathematica à Londres.

Émilie du Châtelet

 Il faut attendre 1905 pour que cette dynamique soit précisée par la Relativité d'Einstein.

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