La propriété de l'aiguille aimantée de désigner à peu de chose près la direction du nord, découverte en Chine au début du premier millénaire, est apparue en Occident au Moyen-Âge. L'oxyde de fer Fe3O4, à la base du phénomène de l'aimantation, est l'un des plus répandus dans les roches cristallines et cette propriété se transmet d'objet à objet.
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La boussole va ouvrir alors des perspectives révolutionnaires aux navigateurs de tout poil de la Renaissance: aventuriers, explorateurs, marchands, corsaires, marines militaires, en leur permettant de se mesurer à la navigation hauturière. Le nord magnétique se déplace lentement au fil du temps et un étalonnage doit être fait périodiquement.
José Maria de Hérédia (1842-1905) |
Parti le 3 août 1492 de Palos, au sud ouest de l'Espagne, Colomb, navigant au sud-ouest, atteint les Canaries le mois suivant puis, navigant alors selon cette latitude (proche de celle du tropique du Cancer, 23.4°), il aborde les "Indes" à l'île San Salvador (Bahamas) le 12 octobre 1492. Il se croit à Cipango, île du Japon ainsi baptisée par Marco Polo (1254-1324). Après la découverte de Cuba et de Saint Domingue le voyage de retour se déroule du 16 janvier 1493 au 4 mars et Colomb retrouve l'Europe à Lisbonne, non loin de son point de départ sept mois plus tôt.
Le globe terrestre a doublé de volume!
La boussole permet au marin de tenir un cap constant, au Moyen Âge on dit "suivre un rhumb", mais quel rhumb choisir pour aller d'un point du globe à un autre?
Pour exploiter complètement les nouvelles possibilités d'orientation, il faut alors établir des cartes marines figurant les contours des côtes et faisant apparaître facilement la route à suivre à l'aide de la boussole.
Sur le globe terrestre la route déterminée par un cap constant est une courbe qui coupe les méridiens suivant le même angle et qui s'enroule autour de l'axe des pôles. Cette courbe porte le nom de "loxodromie" du grec "course oblique".
une loxodromie tracée sur la terre |
la loxodromie est une hélice tracée sur une sphère |
En retenant une projection sur le cylindre tangent à l'équateur on pourra rendre compte de cette propriété: les méridiens seront des droites verticales et la route suivie sera représentée par une ligne droite inclinée sur l’équateur de la valeur du cap retenu et coupant tous les méridiens suivant cet angle.
Mais quid des latitudes? Quelle échelle retenir pour que l'extrémité de la droite représentant une loxodromie partant de l'équateur coïncide avec le but à atteindre car ce point est plus haut que ce que donnerait le simple report de la valeur de la latitude: il y faut une dilatation! On parle de "latitude croissante"
La question de cette projection cylindrique conforme est restée insoluble sur le plan théorique jusqu'à l'invention du calcul différentiel et des logarithmes au début du XVII ème siècle.
La difficulté provient de ce qu'il faut construire les outils mathématiques qui permettent de concilier deux géométries de nature différente: celle du plan et celle de la sphère qui n'est pas euclidienne.
La première étape est le fait d'un mathématicien portugais, théoricien hors pair, Pedro Nunes (1502-1574) qui, après plusieurs publications dès 1537, fait paraître à Bâle en 1566 son ouvrage complet sur la loxodromie en établissant le principe des calculs qu'il convient de faire en trigonométrie sphérique pour construire une table des valeurs approchées des "latitudes croissantes". Mais il se garde bien de procéder à ces calculs très lourds. D'Hollander (1918-2013), ingénieur général géographe, dans son ouvrage "Loxodromie et projection de Mercator" publié en 2005 par l'Institut Océanographique et qui est la référence en la matière, s'y est attelé et a constaté des approximations inférieures à 2%.
Lisbonne, monument des découvreurs. Nunes fait une mesure sur un globe |
La deuxième étape est franchie par le cartographe flamand Gérard Mercator (1512-1594) qui réalise en 1541 un globe terrestre de diamètre 41 cm, avec le dessin des loxodromies correspondant à de nombreuses roses des vents centrées judicieusement et indiquant les arcs pour les sept rhumbs habituels à l’époque: 11.25°, 22.5°, 33.75°, 45°, 56.25°, 67.5° et 78.75°. Les écarts entre le dessin et la théorie tels que mesurés et calculés par D'Hollander, ne dépassent qu'exceptionnellement 0.5°.
Après fabrication et vente de nombreux globes, Mercator, qui s'est installé en Allemagne à Duisbourg, présente en 1569 sa célèbre carte " Ad usum navigantium...", "gigantesque planisphère de plus de deux mètres de long... un des évènements les plus importants de la cartographie mondiale" selon D'Hollander.
Cet auteur a procédé à l'analyse de toutes les recherches mathématiques qui ont été menées pour découvrir le secret mathématique utilisé par Mercator, mais sa conclusion est que celui-ci est vraisemblablement passé directement de son globe à sa carte, utilisant les tracés du premier pour établir le canevas de la seconde.
Mercator: nord magnétique et géométrique |
Mercator: planisphère de 1569 |
Edward Wright (1561-1615), mathématicien anglais, publie en 1599 l'ouvrage "Certaine errors..." dans lequel il expose sa "méthode des sécantes cumulées". Il se rapproche ainsi de la solution.
La quadrature par Wright |
De proche en proche et régulièrement il calcule alors ces coefficients et les cumule pour obtenir le coefficient à appliquer pour une latitude donnée. L'inverse du cosinus est désigné par le terme "sécante" d'où le nom de la méthode. Sa formule des latitudes croissantes est :
latitude croissante = 1/cos(1°)+1/cos(2°)+1/cos(3°)+..........+1/cos(latitude).
Le résultat est remarquablement bon et l'approximation inférieure à 0.3°.
L'invention des logarithmes va permettre d'établir la formule donnant les latitudes croissantes.
Ils sont imaginés par John Neper (1550-1617), mathématicien écossais, pour faciliter les calculs astronomiques.
En effet, sur les grands nombres, les additions sont bien plus faciles à effectuer que les multiplications. Au Moyen Âge on utilisait les formules trigonométriques telles que cos(a).cos(b) = (cos(a+b)+cos(a-b))/2 pour transformer une multiplication en une addition, mais ce n'était pas très pratique.
Neper a eu l'idée en 1614 de faire se correspondre les termes de deux progressions:
l'une arithmétique comme celle de raison 1: 0, 1, 2, 3, 4, 5, 6
l'autre géométrique comme celle de raison 2: 1, 2, 4, 8, 16, 32, 64
Il désigne par "logarithme en base 2" le nombre de la progression arithmétique qui correspond à celui de même rang dans la progression géométrique: par exemple log(4) en base 2 = 2, log(8) = 3 et log(32) = 5 .
On vérifie bien que log(4) + log(8) = 2 + 3 = 5 = log(4x8): la multiplication de 4 par 8 est devenue une addition de 2 et 3.
En faisant de très nombreux calculs on a ainsi construit des tables de logarithmes avec plus ou moins de décimales.
Le jésuite flamand Grégoire de Saint Vincent (1584-1667), utilisant les méthodes de son époque, a pu faire la quadrature de l’hyperbole équilatère et a démontré que l'aire comprise entre la courbe et son asymptote a un comportement logarithmique: si les abscisses croissent de façon géométrique, les aires croissent de manière arithmétique.
hyperbole équilatère et logarithme: abscisses proportionnelles (ici facteur 2) et aires égales |
En reliant l'abscisse x à la surface entre l'abscisse 1 et cette abscisse x on crée la fonction Logarithme qui a pour base le nombre e, avec Log(1) = 0 et Log(e) = 1. Cette fonction a longtemps été appelée logarithme hyperbolique avant logarithme népérien. Tous les logarithmes construits sur d'autres bases s'en déduisent par une simple division par le logarithme népérien de la base.
L'astronome anglais Edmond Halley (1656-1742) avait la pratique de ces nouveaux outils mathématiques et aussi celle de l'astrolabe mis au point par les anciens. Cela lui a permis de donner en 1696 de façon très élégante une démonstration de l'équation de la loxodromie.
En effet il existe une courbe plane qui, comme la loxodromie, est caractérisée par le fait que l'angle tangentiel polaire est constant. C'est la spirale logarithmique.
Par ailleurs l'astrolabe utilise la propriété de la projection stéréographique d'une sphère sur un plan d'être conforme, c'est à dire de conserver à un angle sa valeur. Le rapprochement des deux livre la solution!
le rayon vecteur varie de façon géométrique, l'angle au centre, de façon arithmétique |
L'équation de la spirale logarithmique est: Log(rayon vecteur) = (angle au centre)/tan(V) où V est l'angle tangentiel.
Si alors on fait une projection stéréographique de la sphère terrestre sur le plan de l'équateur à partir du pôle sud, la projection de la loxodromie sera une courbe dont l'angle tangentiel est constant et égal au cap suivi: une spirale logarithmique.
la spirale logarithmique projection de la loxodromie |
Soit la loxodromie de cap V sur la sphère de rayon 1. Désignons la longitude du point L par lon et sa latitude par lat.
Le point S est la projection du point L. L'angle entre l'axe nord sud et la droite joignant le pôle sud aux points L et S est égal à pi/4-lat/2. La projection stéréographique donne donc OS = tan(pi/4-lat/2).
L'équation de la spirale donne Log(OS) = -lon/tan(V).
Il en découle: Log(tan(pi/4-lat/2)) = -lon/tan(V), ce qui s'écrit: lon = tan(V).Log(tan(pi/4+lat/2)).
Telle est l'équation de la loxodromie.
Si on veut construire une carte plane où, à cap constant, le navire décrit l’hypoténuse d'un triangle rectangle, il faut retenir comme latitude croissante la valeur lon/tan(V) c'est à dire:
latitude croissante = Log(tan(pi/4+lat/2)).
Telle est la formule du secret mathématique de la carte de Mercator.
Une table des logarithmes des tangentes livre donc pour une latitude déterminée la valeur de la latitude croissante à retenir sur la carte.
L'étudiant en mathématiques voit alors que ce logarithme n'est autre que l'intégrale de la fonction 1/ cos(lat), ce qui valide la méthode des sécantes cumulées de Wright qui s'apparentait à une intégration.
Il voit aussi que la latitude n'est autre que le gudermannien, ou amplitude hyperbolique de la latitude croissante, mais c'est une autre histoire qui va être évoquée plus tard.
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