Cône et coniques |
Trois traces sont particulières: le cercle et la parabole en bleu gras et l'hyperbole équilatère en rouge gras.
Apollonius de Perge (-260/-190) s'est consacré à l'étude des coniques dans une somme de huit livres: Éléments des Coniques, ouvrage traduit et publié en 1710 par l'astronome anglais Edmond Halley (1656-1742).
Apollonius, qui évidemment ne connaissait pas l'analyse, a eu recours, pour caractériser les coniques à une comparaison de surfaces. Pour un point de la parabole, courbe qui fait la transition entre ellipses et hyperboles, il construit un rectangle (ci dessous en jaune) dont le petit coté est l'abscisse et dont l'aire est égale à celle du carré (ci dessous en bleu) construit sur l'ordonnée. Il constate alors que le grand coté du rectangle ne varie pas quand il déplace le point sur la parabole et il détermine ainsi l'équation de la parabole: y^2 = x.
pour la parabole le grand coté du rectangle jaune ne varie pas |
Il trace alors une ellipse et une hyperbole tangentes en un sommet commun de telle façon qu'elles ne recoupent pas la parabole. Et, puisque pour l'ellipse l'aire du carré est moindre que l'aire de référence du rectangle de la parabole, et que c'est le contraire pour l'hyperbole, il baptise ainsi les coniques: parabole signifie en grec 'comparable', ellipse vient du verbe grec 'manquer' et hyperbole veut dire 'au delà'.
Ces trois termes sont repris avec la même signification pour des figures de rhétorique.
L'équation de la conique générale s'écrit, à un coefficient de proportionnalité près, y^2 = x + k.x^2.
Pour k négatif on a une soustraction par rapport à la parabole: c'est l'ellipse. Si k est positif on a une addition: c'est l'hyperbole. k est le carré du rapport des axes de la conique affecté du bon signe et on note k = (e^2-1) où e est l'excentricité, définie comme le rapport de la distance focale au demi-grand axe.
Au dix-huitième siècle le jésuite vénitien Vincenzo Riccati (1707-1775) cherche à calculer la surface comprise entre l'hyperbole équilatère et ses asymptotes. Il utilise les logarithmes et la propriété de l'hyperbole équilatère qui permet de les représenter puisque la fonction logarithme est l'intégrale de la fonction y = 1/x (voir article précédent sur la loxodromie).
les aires des surfaces en bleu sont égales |
Soit M le point (x, f(x)) et P le projeté de M sur l'axe de symétrie de l'hyperbole. La droite OP est coupée par les parallèles aux axes orthonormés en deux points dont les distances à l'origine O sont rac(2).f(x) et rac(2)/f(x). La longueur OP est donc égale à (f(x)+1/f(x))/rac(2) et la longueur PM à (f(x)-1/f(x))/rac(2). Les longueurs OP et PM sont les coordonnées du point M dans le système d'axes composé des axes de symétrie de l'hyperbole.
L'aire du triangle OPQ est égale à OP^2/2, celle de la surface délimitée en vert est égale à 1, celle du triangle qui la surmonte est égale à PM^2/2 et on a donc OP^2 - PM^2 = 2.
En procédant à une homothétie de facteur 1/rac(2) on obtient OP^2 - PM^2 = 1.
C'est par analogie avec le cercle pour lequel on a cost^2 + sint^2 = 1 que Vincenzo Riccati a appelé ces coordonnées, cosinus hyperbolique et sinus hyperbolique puisque la relation cht^2 - sht^2 = 1 conduit à des formulaires très semblables dans les deux trigonométries circulaire et hyperbolique.
Un choix judicieux de la fonction f(x) va alors donner un sens à la surface en bleu égale à son logarithme: il suffit de retenir la fonction réciproque du logarithme, ce que fera Jean-Henri Lambert (1728-1777), l'inventeur de la projection cartographique Lambert toujours en usage.
On connait la fonction puissance pour des valeurs entières des nombres: 2^2, 2^3, 2^4...qui s'écrit avec les exposants 2, 3, 4...On sait aussi que le logarithme en base 2 de 2^3 est alors égal à 3. En "bouchant les trous" entre les entiers on obtient la fonction réciproque et symétrique du logarithme appelée 'exponentielle' notée exp(x). On note exp(-x) la fonction 1/exp(x).
en gris la fonction logarithme, en rouge exp(x), en bleu exp(-x) |
La courbe de la fonction exponentielle recèle des propriétés remarquables: la sous-tangente (segments en rouge et en bleu gras) est constante et égale à 1 ce qui fait que la courbe est aussi celle de sa dérivée et de son intégrale.
Pour la même valeur de x les tangentes aux courbes exp(x) et exp(-x) sont perpendiculaires. Le segment (en jaune) qui joint leur point de concours Y à l’abscisse x a aussi une longueur constante et égale à 1. Le point Y décrit une courbe appelée tractrice car c'est celle que suit un animal attaché par une laisse à son maître lorsque celui-ci se déplace en ligne droite. L'aire de la surface en bleu entre la tractrice et l'axe des abscisses est égale à pi/2 !
En retenant la fonction exponentielle pour la figure hyperbolique étudiée plus haut et en faisant une homothétie on obtient la figure suivante (sur laquelle on peut noter que les quarts de cercle en vert délimitent deux surfaces d'aire égale à sin(2.t).(pi - 2) / 4).
l'aire de la surface en rose est égale à t/2 (celle de la surface en bleu, également) |
La figure met en évidence les coordonnées d'un point de l'hyperbole dans le système d'axes composé de ses axes de symétrie. Ces coordonnées sont les fonctions sinus hyperbolique sh(t) = (exp(t)-exp(-t))/2 et cosinus hyperbolique ch(t) = (exp(t)+exp(-t))/2.
Il y a cependant une différence considérable entre les deux sortes de lignes trigonométriques car les fonctions sh(t) et ch(t) ont des branches infinies.
en rouge les fonctions exp(u) et exp(-u), en vert sh(u) et ch(u); l'aire de la surface grise est le double de u |
Le mathématicien allemand Christoph Gudermann (1798-1852) a laissé son nom à une fonction qui permet de passer facilement d'une trigonométrie à l'autre. Cette fonction, notée gd(x), est l'intégrale de l'inverse du cosinus hyperbolique. Sa réciproque est l'intégrale de l'inverse du cosinus circulaire qui s'écrit aussi ln(tan(pi / 4 + x / 2)). On retrouve ici la formule de la latitude croissante utile pour construire une carte de Mercator (voir article précédent sur la loxodromie).
On appelle gudermannien de v, le réel u tel que sh(v) = tan(u), ce qui s'écrit aussi ch(v) = 1/cos(u). On a alors v = ln(tan(pi/4+u/2)).
La figure ci-dessous montre l'imbrication du cercle et des lignes trigonométriques circulaires, d'une part, avec l'hyperbole équilatère et les lignes hyperboliques d'autre part.
d'après Warusfel, in Dictionnaire Raisonné de Mathématiques, 1966 |
L'aire du secteur en rouge est égale à u / 2, celle de la surface en bleu à v / 2. On a tan(u / 2) = th(v / 2) = t = segment AK.
Cette figure donne aussi un procédé de construction de l'hyperbole et de sa tangente à partir de la droite BC et de la tangente en C au cercle.
Une autre utilité des recherches de Riccati est constituée par la courbe de la fonction cosinus hyperbolique qui se rencontre souvent dans la nature ou dans le quotidien.
En effet cette courbe appelée "chaînette" est la forme que prend une chaîne ou un fil pesant suspendu entre deux points.
Cette position d’équilibre répartit exactement la tension entre tous les points du fil et donc la minimise. Certains architectes et ingénieurs ont cherché à se rapprocher de la chaînette inversée pour construire des arches, des coupoles ou des dômes.
la chaînette |
Par ailleurs les lignes trigonométriques hyperboliques interviennent dans certaines géométries non-euclidiennes qui rejettent le cinquième postulat d'Euclide sur l'unicité de la parallèle à une droite donnée passant par un point donné, notamment celle de Nikolaï Lobatchevski (1792-1856) et Henri Poincaré (1854-1912), appelée géométrie hyperbolique.
Le théorème de Pythagore s'écrit:
en géométrie euclidienne a^2 = b^2 + c^2,
en géométrie sphérique cos(a) = cos(b).cos(c) et
en géométrie de Lobatchevski ch(a) = ch(b).ch(c).
disque de Poincaré par D.E. Joyce, Clark University, MA |
Enfin, la fonction exponentielle a été étendue, de façon très féconde pour la trigonométrie, aux nombres imaginaires en définissant l'exponentielle complexe de l'imaginaire (x + i.y), où i est tel que i^2 = -1: exp(x + i.y) = exp(x).exp(i.y) = exp(x).(cos(y)+i.sin(y)).
De la formule exp(i.y) = cos(y) + i.sin(y), on tire cos(u) = ch(i.u) et ch(u) = cos(i.u), etc...
En faisant y = pi, on a l'identité d'Euler (1707-1783):
Cette formule n'a aucune signification, mais d'abord elle est exacte, et ensuite elle relie par les opérations fondamentales les nombres-clés des Mathématiques.
Autre présentation, encore plus énigmatique, avec la constante de Gelfond (1906-1968):
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