heure d'été versus heure d'hiver...

En plein mois de juillet 2018 la Commission Européenne a lancé une consultation publique sur les souhaits des Européens quant au changement d'heure. Le taux de participation a été extrêmement faible: 4.5 millions de réponses reçues pour plus de 500 millions d'habitants de tous âges dans l'Union Européenne. Le résultat peut être qualifié de soviétique puisque 84% des réponses se sont déclarées favorables à la suppression du changement d'heure. En cas de suppression 56% choisissent comme heure unique l'heure d'été, 36% l'heure d'hiver (8% sans opinion).
Circonstance stupéfiante: sur les 4.5 millions de réponses, 3.1 millions sont allemandes (69%!), 393.000 françaises (8.7%) et 259.000 autrichiennes (5.7%), les 748.000 restantes proviennent des 26 autres pays consultés parmi lesquels seuls 6 dépassent 1%!
Un tel déséquilibre rend cette consultation dénuée de toute signification européenne: il s'agit tout bonnement de la position des 4% d'allemands, des 3% d'autrichiens et des 2% de luxembourgeois qui ont répondu, c'est à dire une très petite minorité de locuteurs germanophones aux frontières communes...

logo de la Commission Européenne

        La montagne a accouché d'une mini-mini-souris...allemande!

Par quelle aberration la Commission peut-elle estimer qu'un questionnaire diffusé par internet en plein été, sans présenter d'étude exhaustive autre que des rumeurs et sans réelles explications sur les tenants et aboutissants du choix à faire, peut avoir une quelconque valeur!
 Las...ni le soleil ni les problèmes de l'heure ne relèvent de l'optimisation fiscale et le président luxembourgeois de la Commission, en déclarant que "lorsque l'on consulte les citoyens sur quelque chose il convient de faire ce qu'ils souhaitent", s'est aventuré sans en avoir la compétence et sans réelle réflexion préalable sur un terrain qu'à l'évidence il connait mal et sur lequel il trébuchera.

On est là dans le registre du populisme qui considère que l'homme de la rue connait instinctivement la bonne solution à toutes les questions que l'on peut lui poser...

Cette attitude, conséquence du phénomène récent de rejet des experts et des élites considérés comme des pédants qui empêchent de tourner en rond, a conduit par exemple au Brexit et, lors d'élections nationales récentes, au choix de la solution la plus simpliste et la plus immédiatement séduisante.
Autres fake news avant l'heure: la soi-disant plaisanterie du bug de l'an 2000 ou la prétendue augmentation généralisée des prix de détail lors du passage à l'euro, sans parler des théories complotistes sur la conquête de la lune ou les attentats des twin towers...

Le GIEC est la victime la plus dramatique de cette évolution!

En Suisse même, des voix s'élèvent aujourd'hui pour constater que le système de la "démocratie directe" (ainsi dénommé bien que, pour les votations qui se succèdent à une cadence quasi bimestrielle, le taux moyen de participation reste inférieur à 40%) a atteint ses limites et complique trop la prise de décisions courageuses.

L'heure est le produit de la relation entre soleil et longitude: c'est une question géographique et astronomique.

Depuis la convention de Washington d'octobre 1884, les 24 fuseaux horaires partagent le globe terrestre à partir du méridien de Greenwich. Chaque pays choisit normalement son fuseau horaire (ou ses fuseaux horaires s'il est étendu en longitude: Etats-Unis, Russie...) de façon que pour la plus grande partie du territoire l'heure légale corresponde au plus près avec l'heure solaire (soleil à la culmination à midi).

En France la loi du 14/3/1891 fixe comme heure légale sur tout le territoire celle de Paris puis la loi du 9/3/1911 adopte le fuseau horaire de Greenwich, temps GMT, aujourd'hui UTC, avançant ainsi l'heure légale de 9 minutes 21 secondes, valeur de la longitude de Paris (2.33°).
Le système de l'heure d'été est instauré par la loi du 19/3/1917 et dure jusqu'en 1945 suivant deux modalités. La loi de 1917 fixe l'heure d'été à UTC+1h, conservant l'heure d'hiver à UTC. Puis, pendant l'occupation allemande, de 1940 à 1945, le fuseau horaire de la France est aligné sur celui de l'Allemagne: heure d'hiver UTC+1h et heure d'été UTC+2h.
A la libération un décret du 14/8/1945 du Gouvernement Provisoire de la République Française fixe l'heure d'été à UTC+1h et l'heure d'hiver à UTC, mais un autre décret en date du 5 novembre 1945 conserve le fuseau UTC+1h pour heure légale d'hiver.

Le livre "Mon village à l'heure allemande" qui a valu le prix Goncourt en 1945 à Jean Louis Bory (1919/1979) dénonce cet assujettissement mais dans les faits la France renonce ainsi en 1945 à l'heure de Greenwich au profit de l'heure de l'Europe Centrale, alors que la très grande majorité de son territoire échappe à ce fuseau horaire.
S'agissait-il de poser les prémices de la Communauté Européenne?
 

seules la partie de l'extrême est de l'Alsace et la Corse appartiennent géographiquement au fuseau de l'Europe Centrale (Royal Observatory of Belgium)

Les pays proches des tropiques ne sont pas concernés par la question du changement d'heure puisque les instants des levers et couchers du soleil varient peu suivant les saisons.
Les pays de la zone dite "tempérée" connaissent eux des variations importantes de la durée du jour entre été et hiver: à Bruxelles, à la latitude de 51°, entre lever et coucher du soleil le 21 juin, il se passe 16 heures et 30 minutes , et le 21 décembre moins de 8 heures.
Au XXIe siècle la durée du temps de travail quotidien est d'environ huit heures...quelle que soit la saison. Faire coïncider en hiver la journée de travail avec l'ensoleillement et la commencer en été à un moment proche du lever du soleil est parfaitement judicieux. Le changement d'heure vise à adapter en bloc les horaires habituels des principales activités humaines à l'ensoleillement.

Les Américains parlent de "Daylight Saving(s) Time"  qui peut se traduire par "temps pour profiter de la lumière du jour" et ils n'ont pas attendu un quelconque choc pétrolier pour l'instaurer dès 1966.

en bleu les pays pratiquant le Daylight Saving Time (S Eggert)

Le changement d'heure n'est pas une bizarrerie européenne!

Les USA et Canada le pratiquent depuis 1966, dix avant l'Europe.

La nature fait la même chose pour l’environnement, mais à moindre vitesse : quelques minutes par jour. Aux équinoxes le changement d'heure solaire est de deux minutes par jour le matin et deux minutes le soir à la latitude de Bruxelles.
A Bruxelles le 18 mars, l'ensoleillement dure douze heures et treize heures le 2 avril: en deux semaines à cheval sur l'équinoxe de printemps, une heure de soleil est ainsi gagnée.
Et c'est le double entre le 10 mars et 10 avril:

Le 10 avril le soleil se lève une heure plus tôt et se couche une heure plus tard que le 10 mars.

La nature réalise donc en trente jours seulement la même chose que le passage à l'heure d'été.

Le rythme de la vie des animaux de rente, comme de la faune sauvage, est réglé par la hauteur du soleil et la durée de l'ensoleillement, non pas par la montre de l'éleveur. Sait-il qu'il perturbe ce rythme aux périodes des équinoxes en n'adaptant pas, jour après jour, les heures de traite et de nourrissage à la course du soleil...
 
Le passage à l'heure d'été est très positivement perçu par les personnes concernées. Il n'est que constater la satisfaction générale au début avril: l'allongement de la durée du jour permet de jouir d'une plus grande ampleur d'ensoleillement pour les loisirs quotidiens en fin de journée. L'heure d'été est même tellement appréciée que la majorité des européens interrogés par la Commission Européenne, sans réfléchir plus loin, souhaiteraient la conserver toute l'année...

En grande Bretagne l'heure légale est le Temps Universel de Greenwich (UTC), ce qui est la moindre des choses pour le pays qui s'est vu conférer le méridien origine. Pour la ville de Londres dont la longitude est nulle, la conséquence du passage à l'heure d'été est qu'à 12h (midi), le soleil n'a pas encore atteint sa culmination. Ce sera le cas une heure plus tard seulement, à 13h (à l'équation du temps près): la matinée d'été se trouve donc raccourcie d'une heure et l’après-midi rallongée d'autant.

A Paris dont la longitude est -2.33°, soit en temps -9m21s, l'heure légale est celle du fuseau UTC +1h. Avec l'heure d'été été la culmination du soleil intervient donc 2h-9m21s soit 1h50m41s avant midi (à l'équation du temps près), ce qui est considérable.

A Bruxelles dont la longitude est -4.39° soit en temps -17m34s, l'heure légale est la même qu'à Paris.
Avec l'heure d'été la culmination du soleil intervient donc 2h-17m34s soit 1h43m26s avant midi.

A Berlin dont la longitude est -13.40°, soit en temps -53m36s, l'heure légale est la même qu'à Paris. Avec l'heure d'été la culmination du soleil intervient donc 2h-53m36s soit 1h6m24s avant midi.

Conserver en hiver l'heure d'été, c'est à dire retenir comme heure légale UTC+2h, a donc pour conséquence d'entériner le raccourcissement de la matinée tout au long de l'année d'une valeur d'autant plus grande que le lieu considéré est situé plus à l'ouest.

Il en découle qu'en hiver le début de la journée se produit alors que le soleil se trouve encore largement sous l'horizon: on doit commencer ses activités dans l'obscurité pendant une durée importante, ce qui est loin d'être réjouissant ou motivant.

Le phénomène de l'équation du temps vient aggraver cette difficulté aux mois de janvier, février et mars (voir à ce sujet l'article intitulé "l'équation du temps" en date du 6 juin 2014 et celui intitulé "un soleil capricieux" en date du 7 avril 2018 du présent blog).

incidence de l'inclinaison de l'écliptique, celle de la loi de Kepler et la combinaison des deux

L'inclinaison de l'écliptique fait que le soleil est alternativement en avance en automne et au printemps et en retard en hiver et en été. La loi de Kepler accélère la terre du 6 juillet au 3 janvier et la ralentit du 3 janvier au 6 juillet. La combinaison de ces deux lois géométrique et physique donne la courbe de droite appelée analemme du soleil. En automne et en hiver les deux lois se renforcent alors qu'elles se contrebalancent au printemps et en été.

le soleil est en avance en automne et en retard en hiver

L'avance du soleil atteint 16 minutes le 4 novembre et son retard 14 minutes le 12 février.

composantes de l'équation du temps et incidence à la latitude de Bruxelles en heures solaires

En automne l'équation du temps rallonge la matinée et la raccourcit en hiver. L'écart entre le 4 novembre et le 12 février atteint une demi heure.

heures des levers et couchers du soleil à Bruxelles en automne et hiver avec l'heure d'été

Dans l'hypothèse où l'heure d'été est appliquée à Bruxelles toute l'année, le lever le plus tardif de la période automne/hiver se produira le premier janvier à 9h45.
Le 2 janvier, si on doit se lever à sept heures, quand le soleil est 25° sous l'horizon, il fait nuit noire. Les étoiles ne s’éteignent qu'à 8h30 et le soleil est encore absent pendant une heure et quart!
Et il faut attendre 13h45 pour que le soleil d'hiver culmine et dispense le plus possible de chaleur.
Ce genre de situation prévaudra de la fin novembre jusqu'au printemps.

En automne la situation est moins défavorable du fait de l'avance du soleil qui augmente jusqu'au 4 novembre en raison de l'équation du temps. Pendant le mois d'octobre le soleil fait ainsi de la résistance en se levant plus tôt. C'est la raison pour laquelle la fin actuelle de l'heure d'été est fixée à la fin du moins d'octobre et non pas à la fin du mois de septembre comme le quidam pourrait l'imaginer.

la situation à Paris est peu différente de celle constatée à Bruxelles

 

la situation à Berlin est un peu moins mauvaise

A Bruxelles on se rendra vite compte de l'impasse et on constatera que le pseudo referendum aurait mérité d'être fait en hiver plutôt qu'en juillet: le résultat aurait sûrement été inversé.

auteur S.Solberg J.

Mais, en réalité, il aurait fallu pratiquer une politique positive d'explication de la question de l'heure d'été au lieu de céder aux récriminations injustifiées d'esprits chagrins qui ont tout simplement oublié que l'homme est un être soumis à des saisons et que son maître est encore le soleil.

Renoncer au changement d'heure serait une absurdité crasse et aurait une conséquence dramatique si ce faux pas est suivi par les Autorités Européennes: il n'y aurait plus d'heure légale unique pour l'Europe, les pays les plus à l'est choisissant UTC+2h et ceux plus à l'ouest, UTC+1h ou même UTC pour l'Espagne et le Portugal. Ceci entraverait les relations civiles et commerciales et constituerait une grave régression de l'Idéal Européen.

La Commission Européenne aurait alors donné une victoire supplémentaire au populisme! 

Comment mieux se saborder?

 

sunset from ISS (NASA)