L'objet qui, de l'antiquité au moyen âge, donne l'heure à celui qui le possède, a la forme d'un quart de cercle, pèse bien moins qu'un i-phone et n'est guère plus grand. On y lit l'heure inégale, c'est-à dire la fraction du temps d'ensoleillement écoulée depuis le lever du soleil. L'objet fonctionne quels que soient le jour de l'année et le lieu où l'on se trouve, cela sans se soucier de l'orientation: c'est là son point fort: il est universel. Cependant les rendez-vous ne peuvent être garantis par temps couvert... et ce défaut entraînera sa perte: le quadrant sera remplacé par le cadran de la montre!
Les astronomes ont utilisé de tout temps un quart de cercle monté sur pivot et muni d'un fil plombé pour mesurer la hauteur d'un astre et ils ont vite caractérisé cette hauteur par une longueur au moyen d'un demi-cercle annexe tracé à l'intérieur et sur un bord du quadrant. Si le rayon du quadrant est pris pour unité, la distance entre son centre et le point d'intersection de ce demi cercle avec le fil plombé est le sinus de la hauteur.
en rouge sinus de la hauteur (arc Ap) |
Le quadrant servait notamment à mesurer la hauteur du soleil à un certain moment et, entre autres, à midi au moment où il est le plus haut dans la journée.
Cette hauteur méridienne varie tous les jours: au début du printemps elle augmente journellement assez vite, puis de moins en moins vite, et à l'approche du début de l'été, le 22 juin, elle semble se stabiliser: ce jour-là le soleil est au "solstice" d'été (Le solstice est l'arrêt du mouvement apparent du soleil comme l'armistice est l'arrêt des armes). Ensuite on assiste à l'évolution inverse.
On "sent" bien qu'à tout instant il y a une relation entre la hauteur du soleil et le temps écoulé depuis son lever (aujourd'hui la trigonométrie sphérique donne évidemment la formulation mathématique de cette relation).
Mais quel astronome antique a eu l'idée de rapprocher le sinus de la hauteur à un instant donné du sinus de la hauteur méridienne et plus encore d'en étudier le rapport?
La figure ci-dessous montre le cheminement:
hauteur méridienne, hauteur du soleil et leurs sinus OM et OS |
Soit m le point sur le bord circulaire du cadran tel que l'arc Am représente la hauteur méridienne. Si le rayon du quadrant est pris pour unité, la longueur OM est alors son sinus. De la même façon soit p le point tel que l'arc Ap représente la hauteur du soleil, alors la longueur OS est son sinus.
On appelle P le point sur la droite (verticale) Op tel que OP soit égal à OM. Pour étudier le rapport OS/OP, désigné par k dans la suite, on construit un second demi-cercle semblable au demi-cercle du quadrant et passant par P. Le diamètre de ce deuxième demi-cercle est alors égal à 1/k. On appelle H son point d'intersection avec le bord du quadrant. La longueur OH, égale à l'unité, est alors le sinus de l'arc AH dans le repère de ce deuxième demi-cercle de diamètre 1/k. La valeur du sinus de l'arc AH est donc k. En conclusion le sinus de l'arc AH est égal au rapport du sinus de la hauteur divisé par le sinus de la hauteur méridienne.
Voilà une belle construction géométrique, mais où mène-t-elle? A quoi sert ce point H?
C'est alors qu'intervient la magie des mathématiques, particulièrement de la trigonométrie!
la construction des arcs des heures inégales |
A Athènes le 8 mai le soleil se lève à 5h, à midi il est à la hauteur de 69° et il se couche à 19h: l'ensoleillement dure 14h et l'heure inégale vaut 14/12 = 1heure et 10 minutes. Si l'observation a lieu à 9h40, soit 4 heures et 40 minutes après le lever du soleil on est à l'instant de la fin de la quatrième inégale et au début de la cinquième noté V.0 . Le soleil est à 53° au dessus de l'horizon. Sur le quadrant on positionne les point M puis P et H et on dessine l'arc de cercle qui passe par O, P et H.
Eh bien, cet arc de cercle, à très peu de chose près, a une position fixe sur le quadrant: pour tous les autres jours de l'année et en tout autre lieu, le point P correspondant au début de la cinquième heure sera toujours sur ce même arc de cercle, plus près du centre du quadrant en hiver et plus près de son bord en été!
Le point H est le marqueur de la cinquième heure inégale et l'arc AH est égal à 4*90/6 = 60°. Les marqueurs des autres heures sont faciles à positionner de 15° en 15° en partant de A rebaptisé H1, début de la première heure.
C'est d'une simplicité biblique et l'outil, fabriqué à Athènes, est universel!
Voilà la justification du système des heures inégales.
Pour tenter d'expliquer ce phénomène en notation mathématique moderne, il faut intégrer dans les calculs la latitude du lieu l et la déclinaison du soleil d.
La hauteur méridienne du soleil, notée hM, est égale à 90-l+d.
La durée de l'ensoleillement du lever jusqu'à midi, notée AS, est donnée par cos(AS) = -tan(l)*tan(d).
On note AH l'angle horaire du soleil, c'est à dire l'angle, mesuré sur l'équateur céleste, qui, au moment de l'observation, le sépare de sa position à midi.
L'heure inégale HI, en radian, est donnée par HI = (pi/2)(1-AH/AS)
La hauteur du soleil notée h est donnée par sin(h) = sin(l)*sin(d)+cos(l)cos(d)*cos(AH).
Le problème est de calculer l'écart entre sin(h)/sin(hM) d'une part et sin(HI) d'autre part.
C'est évidemment impossible avec le calcul trigonométrique classique et on ne peut donc que s'incliner devant la particularité trigonométrique qui fait que ces deux quantités restent très voisines indépendamment de la latitude et de la déclinaison (c'est à dire de la date)!
Un graphique en 3 dimensions montre ces deux quantités en fonction de la latitude et de la déclinaison.
écart entre heure inégale vraie (ici III.5) et heure inégale donnée par le quadrant |
fonctionnement du quadrant en 4 étapes |
Dans la pratique on équipe le quadrant d'un fil attaché à son sommet et muni d'un plomb. Sur ce fil coulisse une perle. On commence par amener le fil tendu sur la valeur de la hauteur méridienne de la veille qu'on aura repérée puis on fait coulisser la perle jusqu'à l'amener sur le demi-cercle de base. On aligne alors le bord du quadrant avec les rayons du soleil et le fil, laissé libre, place la perle entre deux arcs de cercle d'heures inégales entières. Il reste à lire l'heure par interpolation.
Sur la figure on a dessiné en pointillé l'arc de l'heure inégale lue et, en rouge, la courbe de l'heure inégale vraie.
On peut perfectionner ce quadrant en ajoutant au delà du bord circulaire un curseur permettant d'indiquer pour une latitude et une date données la valeur de la hauteur méridienne.
quadrant avec curseur mobile selon la latitude |
quadrant d'heures inégales du musée d'Oxford |
Mais qui donc est l'auteur de la géniale invention du quadrant?
et par voie de conséquence de la nombreuse descendance de celui-ci:
- quadrant d'heures égales et ses variations
- navicula et cadrans de Regiomontanus et d'Appianus
- montre solaire, bague solaire, cadran de berger, cadran de Fantoni
- ...
Bonjour M. Sauzay,
RépondreSupprimerJ’ai tenté de comprendre d’où provenait la « magie » que vous présentez dans votre billet. Bien que je n’ai obtenu qu’une explication assez indirecte, il me semble qu’elle a le mérite de proposer une approximation initiale que les inventeurs du quadrant ancien ont peut-être utilisée.
Je vous la laisse découvrir sur cette page : http://gnomonique.fr/forum/viewtopic.php?f=5&t=121
Merci pour votre blog dont la lecture est un grand plaisir – cordialement
Yvon Massé