mercredi 15 octobre 2014

l'énigme des heures inégales

Comment compter le temps qui passe? 
A Babylone on fait commencer le jour au lever du soleil et on le divise en 24 heures égales. A l'équinoxe le soleil se couche donc à 12h (midi!), heure babylonique. Ce jour là, la journée et la nuit durent chacune 12 heures, nombre possédant la particularité d'être divisible par 2, 3 et 4 et divisant par ailleurs l'année en mois lunaires. Cette division est encore en vigueur aujourd'hui. L'écoulement du temps est mesuré par celui de l'eau depuis un bol percé dans sa partie basse, de forme appropriée et gradué en heures à l'intérieur. Cet instrument a été appelé clepsydre, le voleur d'eau, par les grecs.
Un autre système d'heures utilisé plus tard est analogue aux heures babyloniques mais fait commencer le décompte au coucher du soleil: ce sont les heures italiques.
Plus tard, à Athènes, à Rome, apparaissent les heures inégales: Dans ce système on conserve le début du décompte des heures au lever du soleil mais on abandonne le découpage régulier. On divise la durée de l'ensoleillement en 12 parties égales et pareillement la nuit, on a donc 12 heures de jour et 12 heures de nuit mais, sauf à l'équinoxe, durée de l'heure de jour et durée de l'heure de nuit diffèrent.
La clepsydre ne donne pas ces heures-là.
Autre conséquence, la durée de l'heure de jour (et de nuit) change tous les jours.
On appelle ces heures les heures inégales ou heures temporaires.
Le langage courant a conservé de cette époque l'expression: "à la première heure" qui veut dire "au lever du soleil", sans référence à l'heure de la montre: la première heure n'est pas 1h du matin. Et l'évangile de Saint Mathieu rapporte la parabole où Jésus décrit la journée d'un maître de maison qui embauche pour travailler à sa vigne, à la première heure, puis à la troisième et ainsi de suite jusqu'à la onzième heure, tous étant payés du même salaire!
Les deux systèmes ont du cohabiter, mais pourquoi avoir inventé ces heures inégales qui paraissent diaboliques: comment savoir à l'avance la durée de la course du soleil et comment diviser cette durée en 12 parties dont la valeur change d'un jour à l'autre?

On sait faire, de façon empirique, des objets solaires, scaphés ou cadrans, donnant l'heure inégale:



SCAPHE demi-sphère concave, image de la sphère céleste, taillée dans un marbre

Le scaphé, de forme hémisphérique, porte un style dont l'extrémité est le centre de l'homothétie entre la voûte du ciel et la demi-sphère. On trace empiriquement sur la demi-sphère les arcs horaires des heures égales et inégales, limités aux tropiques du Cancer et du Capricorne. C'est le point d'impact du rayon solaire passant par l'extrémité du style qui indique l'heure par interpolation entre les lignes tracées.

cadran solaire horizontal d'heures inégales

Le cadran solaire horizontal comporte un style droit (gnomon). L'heure se lit de la même façon que pour le scaphé. Les arcs horaires sont obtenus en joignant les points calculés pour les solstices et l'équinoxe assimilant ainsi ces lignes complexes à des segments de droite (la courbe vraie pour quelques instants après le début de la 12ème heure est tracée en rouge sur la figure ci-dessus).
Ces droites ne convergent pas et leur rythme donne à l'ensemble une grande élégance.
L'empereur Auguste (-63/+14) a fait construire en l'an 10 av. J.C. un tel cadran à Rome sur le Champ de Mars. Son gnomon était l'obélisque égyptien de plus de 22 m qui, écroulé et brisé, a été reconstitué et transporté en 1792 devant le palais pontifical devenu le Palais du Parlement Italien. Les dimensions de ce cadran étaient gigantesques puisqu'à la latitude de Rome un gnomon de cette hauteur envoie, au solstice d'hiver, au début de la troisième heure, l'ombre de son sommet à 98 m de son pied. La table du cadran est maintenant occupée par des habitations!
Octave, fils adoptif par dispositions testamentaires de Jules César assassiné en 44 av. J.C., finit par lui succéder en 27 av. J.C. Le titre sacré d'"Auguste" lui est alors décerné, ce sera son nouveau nom. Il est le premier empereur romain.
En 8 av. J.C. il mène à bien l'instauration du calendrier julien en corrigeant une mauvaise interprétation de la réforme qui menait au rythme de 3 ans au lieu de 4 pour les années bissextiles. Cette même année le Sénat décide d'honorer Jules et Auguste en donnant leur noms aux septième et huitième mois de l'année: Julius est devenu juillet et Augustus, août. Depuis, personne n'a donné son nom aux mois suivants qui restent désignés par leur numéro dans l’ancienne année romaine...

Rome, le gnomon du cadran solaire d'heures inégales d'Auguste

 A Athènes, sur l'Agora au pied du Parthénon, se dresse la "Tour des Vents" monument resté pratiquement intact depuis sa construction au Ier siècle av. J.C. Il s'agit d'une tour octogonale de 12 m de haut dont chaque face a une largeur de 3.2 m. Quatre des faces regardent les points cardinaux. Chaque face comporte un haut-relief représentant la divinité attachée au vent qu'elle désigne par son orientation et présente au dessous, gravé dans le marbre, un cadran solaire d'heures inégales. Les injures du temps ont effacé la plupart des lignes horaires mais le cadran de la face orientée vers le sud-est est resté clairement lisible. Les gnomons à chaque fois perpendiculaires au mur et agrémentés à leur extrémité d'une boule, sont encore en place. L'ensemble gnomonique a été étudié par l'astronome et helléniste Joseph Delambre (1749-1822) dans son "Histoire de l'Astronomie Ancienne" parue en 1817.


Athènes, Agora, la Tour des Vents vue du sud
la face sud-est et son cadran du matin, à gauche la face sud
La latitude d'Athènes étant de 38°, le soleil, tous les jours, éclaire du lever au coucher quatre des huit cadrans et le passant peut vérifier la cohérence des trois qu'il voit.
Ci dessous les cadrans redessinés (à l'exception du cadran septentrional qui ne présente pas les heures inégales):











 Ces horloges solaires indiquent l'heure inégale à ceux qui les regardent, mais pas question d'avoir à disposition un outil léger et portatif qu'il faudrait encore, d'ailleurs, savoir orienter. Elles ne présentent donc pas de supériorité sur les autres horloges solaires qui indiquent les heures égales habituelles.
Alors pourquoi avoir inventé et utiliser cette heure inégale qui est bien moins pratique que l'heure de la clepsydre?
C'est que par suite d'une remarquable propriété trigonométrique on peut fabriquer très facilement un petit objet facilement transportable qui donne l'heure inégale du soleil sans se soucier des points cardinaux.
L'auteur de cette trouvaille quasi magique serait d'origine indienne et son invention n'a cédé la place qu'à l'horloge mécanique.
La suite au prochain numéro: la magie du quadrant.

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